Entre les deux il n’y a rien

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Entre les deux il n’y a rien

Il y a dans ce texte brûlant, inapaisé quelque chose des corps masculins qu’affectionne Mathieu Riboulet, une densité, une tension, une grâce aussi. De courts fragments s’enchaînent, dans un désordre subtilement orga­nisé, pour former un récit porteur d’une colère intacte, évident dans sa proposition : écrire sur les mouvements de contestation des années 1970, l’espoir qu’ils ont suscité, les espaces qu’ils ont ouverts, la révolte qui a levé se transformant, en Allemagne comme en Italie, en action armée. Mathieu Riboulet veut ainsi rendre justice à ce moment de l’histoire — si violemment décrié, renié ou moqué aujourd’hui — qu’il n’a connu que partiellement, puisque né trop tard, en 1960, condamné à « prendre le train en marche », quand tout déjà « était plié ».

L’auteur-narrateur raconte l’époque, de l’assassinat de Pierre Overney, en 1972, à celui d’Aldo Moro, en 1978, dit les points historiques culminants, y mêle en écho les événements de sa propre vie, un voyage familial en Pologne, la rencontre de Martin et celle de Massimo à Rome, découpant les deux chronologies comme une fiction. Le « je » du récit est ainsi essentiel, se gardant du regard a posteriori, pour tenter sans tricher d’y voir clair. Composant une sorte de tombeau littéraire, Mathieu Riboulet, qui n’a lui-même jamais pris les armes, égrène la litanie des morts, se refusant avec véhémence « à faire comme si rien ne s’était passé, comme si, de 1967 à 1978, il n’y avait pas eu au coeur de l’Europe en paix cette déflagration de violence qui laissa dans les rues les corps de centaines d’hommes et de femmes abattus comme des chiens ».

Réflexion sur l’usage de la violence en politique, celle des militants révolutionnaires autant que celle, implacable, de la répression étatique, récit d’apprentissage, ce roman aigu et lucide raconte dans le même mouvement l’éveil d’un jeune homme à la conscience sexuelle et politique, le narrateur découvrant en même temps le désir homosexuel et la lutte révolutionnaire : « Le sexe, ça n’est pas séparé du monde. » Le corps est ainsi, une nouvelle fois, au centre de ce livre majeur de Mathieu Riboulet, comme il l’est d’un autre qu’il publie en même temps, Lisières du corps (éd. Verdier), série de portraits masculins somptueusement écrits, poétique croisée des peaux et des regards. Preuve que, malgré l’espoir fracassé, à la fin des années 1970, et la tentation d’« en finir avec la politique », le désir est toujours là « pour ajourner la mort ». — Michel Abescat

 

Mathieu Riboulet sera présent aux Correspondances de Manosque, un événement Télérama, du 23 au 27 sept. http://correspondances-manosque.org/

 

Ed. Verdier, 136 p., 14 €.

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