En mouvement. Une vie

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En mouvement. Une vie

1965. Jeune chercheur en neurochimie et neuropathologie, tout juste installé à New York après plusieurs années d’études en Californie, Oliver Sacks laissa un jour s’envoler, sur une voie express du Bronx, un carnet contenant neuf mois de données expérimentales, qu’il avait mal fixé sur le porte-bagages de sa BMW. Avant de mettre par inadvertance à la poubelle un précieux échantillon de myéline… « Sacks, vous êtes une menace pour le laboratoire, lui asséna l’un de ses patrons. Pourquoi ne vous occuperiez-vous pas de patients ? Vous causeriez moins de dégâts. » C’est bien au coeur de la relation humaine tissée avec ses malades que ce neurologue fantasque et itinérant, né à Londres en 1933 et mort à New York en 2015, s’est épanoui au fil des années : « Chacun des malades dont j’ai la charge, n’importe où, me paraît plein de vie, m’intéresse et me gratifie : je n’ai jamais examiné de patient sans qu’il m’apprenne quelque chose de nouveau ni ne modifie mes émotions et le fil de mes pensées », confiait-il en 1976 dans une lettre recueillie dans son autobiographie, En mouvement. Une vie (1) , qui vient d’être traduite en français.

Ce livre, aussi attachant que son ­héros, met en lumière toute l’humanité et l’originalité d’Oliver Sacks, auteur de best-sellers dans lesquels des cas cliniques se transforment en contes littéraires, dans la lignée du neurologue russe Alexandre Luria, son maître en « science romantique », qui lui écrivit une missive très chaleureuse au moment de la parution en 1973 de L’Eveil. Un ouvrage porté à l’écran en 1990 par Penny Marshall, avec Robin Williams dans le rôle du médecin : « Il ne m’imitait pas : il était devenu moi, en un sens ; c’est comme si je m’étais soudain retrouvé devant un jumeau plus jeune », commente Sacks à propos du comédien. Entre-temps, c’est la parution en 1985 de L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau qui fit de ce solitaire timide et peu sûr de lui un personnage public, adoré de ses lecteurs et parfois mé­prisé par le corps médical.

A l’âge de 12 ans, il s’entendit prédire par l’un de ses professeurs : « Sacks ira loin s’il cesse d’aller trop loin ! » Les passions et curiosités d’Oliver Sacks, Juif athée, furent nombreuses, virevoltantes, souvent extrêmes : la moto, d’abord, un mode de vie, un rapport au monde : « la machine et l’homme deviennent une entité unique et indivisible », 165 000 kilomètres au compteur avant de quitter la Californie… Les drogues, ensuite, dont il faillit bien ne pas revenir dans les années 1960. L’haltérophilie, enfin, sans oublier la nage et la biologie marine — les invertébrés, calamars, pieuvres et seiches, en particulier ! Son corps, au fil du temps, de ses expéditions et de ses exploits sportifs, fut souvent mis à rude épreuve : des migraines, dès l’enfance, qui le décidèrent à devenir neurologue ; une jambe fauchée par un taureau en Norvège ; un genou en moins ; un mélanome à l’oeil, avec lequel il conclut un marché : « Tu peux prendre l’oeil si tu y tiens, mais ne touche pas au reste de ma personne ! » Vivifiés par le millier de carnets qu’il noircit au cours de son existence, ses Mémoires ne passent pas sous silence son homosexualité et son dépucelage mythique à Amsterdam. « Tu es une abomination ! Je regrette de t’avoir mis au monde ! » lâcha sa mère, chirurgienne et anatomiste, quand elle apprit la préférence sexuelle de son fils. Un homme complexe et différent, aussi à l’aise dans la blouse blanche du médecin que dans la tenue de cuir du motard. — Juliette Cerf

 

(1) Paraît également au format poche L’Odeur du si bémol. L’univers des hallucinations, éd. Points, 380 p., 9,80 EUR.

 

On the move. A life, traduit de l’anglais par Christian Cler, éd. du Seuil, 432 p., 25 EUR.

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