Écrire pour quelqu’un

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Écrire pour quelqu’un

Ce quelqu’un pour qui Jean-Michel Delacomptée écrit dans le titre, c’est son père. Père biologique, père spirituel, la vie est pleine de silhouettes tutélaires qui endossent le costume paternel avec abnégation, inconscience ou bienveillance. Pour lui, deux ont compté : son véritable père, représentant en librairie, et son vénérable pair, J.-B. Pontalis, psychanalyste, auteur et éditeur, directeur de la collection bien nommée L’un et l’autre, où paraît ce livre, un an jour pour jour après sa mort. L’un et l’autre se passent donc le relais, ils échangent leurs reflets dans les pages de ce tombeau littéraire dont la photographie de couverture achève de semer le doute : qui est ce grand homme à lunettes qui donne la main à un garçon ? La ressemblance avec J.-B. Pontalis est frappante, mais il s’agit bien de M. Delacomptée père, accompagné de son fils enjoué, au milieu des années 1950.

Le livre s’ouvre sur l’émouvante exploration de cette image digne de Robert Doisneau, qu’il a sortie de l’oubli par le plus grand des hasards – lui qui ne conserve aucune archive et ne prend aucune photographie. « Elle m’observait autant que je l’examinais », écrit-il de cette photo qui le hante, au point de déclencher l’écriture d’un roman. Voilà bien le secret de ce livre troublant : un regard venu d’ailleurs caresse le texte, regard d’amour porté par un père, regard d’admiration porté par un fils, regard de reconnaissance porté par un lecteur, rien de tel pour avancer armé dans l’existence.

De son père biologique, Jean-Michel Delacomptée parle comme d’un livre, comparant sa peau d’albinos à du papier bible, énumérant le contenu de ses sacoches chargées d’ouvrages des éditeurs dont il assurait la promotion. Enfant du livre, Jean-Michel Delacomptée est devenu livre lui-même. Absorbant le meilleur, se l’appropriant, puis le recyclant. Comme il s’est imprégné des livres de J.-B. Pontalis, qu’il cite dans un élan de redistribution des richesses reçues. Les chiens ne font pas des chats, c’est ce qu’on appelle la transmission.

A ne pas confondre avec le mimétisme social, dont il est question dans un autre pan du roman, tout aussi passionnant. Originaire de la banlieue parisienne, l’auteur revisite cette terre de son enfance avec un regard d’anthro­pologue éclairé. Très pure et presque proustienne pour les séquences intimistes, son écriture devient le pendant du cinéma de Depardon lorsqu’elle s’aventure dans la France banlieusarde des années 1950. Elle happe le silence, se fond dans la transparence des existences, et parle pour tous ceux qui se sont tus, pour toutes ces « bouches abandonnées à la périphérie des centres : bouches mises au ban, comme privées d’un corps pour les soutenir ». Le tombeau devient celui de populations entières, dont ses grands-parents victimes de la Shoah, que Jean-Michel Delacomptée inscrit dans la mémoire. Une mémoire vive et secrète, raison d’être des meilleurs livres.

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