Éclipses japonaises

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Éclipses japonaises

Entre les années 1960 et 1980, la Corée du Nord a kidnappé des étrangers, parfois très jeunes, pour en faire des acteurs de films de propagande, ou pour enseigner leur langue et leurs coutumes à de futurs espions de Pyongyang. De ce sujet en or, Eric Faye a fait un livre en retrait, presque terré. Dans un style neutre, faussement banal et détaché, il raconte l’enfer de Naoko, fillette japonaise enlevée dans son pays en rentrant de son cours de badminton, ou celui de Jim, soldat américain pris à son propre piège de désertion, dont les existences ont basculé pour de longues années au service du régime de Kim Il-sung. Déstabilisant, donnant parfois l’impression de mettre au cachot des épisodes qu’on s’attendait à voir développés, le récit apparaît peu à peu comme un choix littéraire aussi audacieux qu’intelligent. Comme si Eric Faye avait peaufiné une langue de résistance souterraine, proche de celle qu’utilisent les victimes de la censure, lisse en apparence, mais pleine de fissures invisibles et de signaux porteurs d’une douloureuse vérité. A l’image de ce sac de sport, gardé depuis le rapt de l’héroïne, qui sert d’accessoire dans le cinéma de propagande et devient, pour les acteurs prisonniers, une bouteille à la mer jetée dans l’espoir qu’un spectateur du monde libre leur viendra en aide. Pour ses poches d’émotion, camouflées dans une narration uniforme, ce roman vaut le détour. Il a aussi valeur de document passionnant sur la dictature la plus hermétique de la planète, qui vient de qualifier un diplomate en fuite de « pourriture humaine ». — Marine Landrot

 

Ed. du Seuil, 240 p., 18 €.

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