Échapper

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Échapper

« Les couleurs, elles ont toujours quelque chose à raconter ; il leur arrive même d’avoir des opinions », dit le peintre Max Ludwig Nansen, dans La Leçon d’allemand, le beau roman de Siegfried Lenz. Que racontent les couleurs dans lesquelles se déploie le nouveau livre de Lionel Duroy ? Vert gris, vert d’eau, littoral délavé, dune sans fin, lumière pâle et pure des matins d’hiver… Soit un paysage du nord de l’Europe, près de la frontière où l’Allemagne et le Danemark se touchent. Le décor d’Echapper est aussi celui de La Leçon d’allemand, et pour cause : le temps étant à l’orage dans la vie d’Augustin, le narrateur/alter ego de Lionel Duroy, il a décidé de chercher un abri dans ce roman qu’il aime, non seulement en en relisant les phrases, mais en rejoignant les lieux réels qui l’ont inspiré. Réfugié « dans un livre comme on se réfugie dans une chambre d’hôtel », exilé volontaire au bord de la mer du Nord, Augustin tente de cicatriser définitivement de sa rupture avec Esther, la femme avec laquelle il a vécu vingt ans. Et puisqu’il est entendu que nul ne guérit jamais de son enfance, celle-ci profite de la convalescence d’Augustin, de la fragilité sentimentale et nerveuse dans laquelle il se trouve, pour de nouveau affleurer…

Augustin le croit, le sait : la vie réelle « ne serait pas supportable sans les livres, ceux que nous lisons et ceux que nous écrivons ». Lui a le projet encore flou, mais arrêté, d’écrire une suite à La Leçon d’allemand. Le livre de Siegfried Lenz s’inspirant de l’existence du peintre Emil Nolde, qui vécut ici, dans le nord de l’Allemagne, avec Ada, sa jeune épouse tant aimée, Augustin s’immerge donc dans cette vie autre que la sienne, qui lui tend un miroir dans lequel se réfléchissent ses amours, ses réflexions, son lien avec l’écriture. C’est cette image qu’offre à nos regards Echapper : Augustin/Duroy mettant ses pas dans les traces de Nolde, songeant à sa vie passée avec Esther, apprivoisant la solitude, rencontrant d’autres femmes, s’éprenant de Suzanne, douce et secrète comme un tableau de Hammershøi ; Augustin/Duroy s’interrogeant sur la naissance des sentiments et sur l’amour (« Je suis capable d’exprimer ce qui m’a touché chez cette femme, mais même à elle j’hésiterais à le dire. C’est un secret, je n’ai pas envie de le partager. Chacun est touché différemment selon son histoire, chacun a sa petite horlogerie qui s’est construite dans l’enfance, tout cela est très subtil, très sensible, difficilement transmissible… »), tout ensemble vivant et écrivant, car l’un et l’autre sont pour lui rigoureusement indissociables. Augustin/Duroy écrivant sous nos yeux un beau livre introspectif, sensible et âpre, dont le titre est une promesse de liberté, de légèreté : Echapper. — Nathalie Crom

 

Ed. Julliard 280 p., 18,50 €.

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