Deux Messieurs sur la plage

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Deux Messieurs sur la plage

Dans les années 1930, Churchill et Chaplin — qui s’étaient rencontrés de façon inopinée, puis vus régulièrement, à New York, en Californie ou à Londres — avaient signé un pacte secret : quand l’un des deux sentirait la morsure du « chien noir », cet accès de mélancolie chronique et de mal-être insupportable, il ferait appel à l’autre. Ainsi les deux hommes pourraient-ils converser sur les moyens de mettre fin à sa vie. Ce qu’ils se dirent, lors de ces rencontres, nul ne le sait, sauf peut-être l’auteur. Les raisons qui font grogner le « chien noir » ? Elles sont nombreuses. Chaplin est ruiné et sali par un divorce, à la fois absorbé et découragé quand il s’enferme dans la salle de montage pour travailler sur les rushes du Cirque, harcelé par les journalistes et par les lobbys politiques quand il prépare Le Dictateur. Churchill (1) semble plus maître de lui, mais la silhouette de l’homme imposant et tranquille, assis devant son chevalet à Chartwell, sa maison de campagne dans le Kent, est trompeuse. Il boit, il est émotif, et tourne parfois comme un lion en cage — surtout lorsqu’en 1940 il fait front, refusant la défaite.

Chacun a sa méthode pour tenir le coup : quelques ampoules d’héroïne pour Charlie, quelques verres de champagne ou de breuvage plus alcoolisé pour Winston. Et le travail, toujours, la passion commune de ces deux hommes chez qui l’inactivité est féconde : alors que l’un pense à ses films, l’autre, faussement en retrait de la politique, multiplie les collaborations aux journaux. Tout est vrai dans ce passionnant roman : Churchill et Chaplin apparaissent comme ce qu’ils furent. Tout est peut-être aussi inventé dans les sources mentionnées, les correspondances personnelles ou les lieux. Mais même le romanesque est plausible, peuplé de ces dialogues dont on se délecte. Apprenant que Hitler aurait eu l’intention de se suicider quand il était enfant, nos deux compères, eux, théoriciens du suicide, ont ce mot : « Nous ne pouvons malheureusement pas choisir les membres de notre club. » Quant au masque du clown, ils savent tous deux qu’il invite à une réflexion sur la puissance de la parole et du geste. — Gilles Heuré

 

(1) On lira aussi Winston. Comment un seul homme a fait l’histoire, essai biographique de Boris Johnson (éd. Stock).

 

Zwei Herren am Strand, traduit de l’allemand par Stéphanie Lux, éd., Jacqueline Chambon, 252 p., 22 €.

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