De Zéro à Z. L’abécédaire de l’inutile

Ajouter un commentaire

De Zéro à Z. L’abécédaire de l’inutile

Longtemps, ce fut de l’humour de contrebande, venu d’on ne sait où, pratiqué par on ne sait qui. De simples cartes postales, anciennes, du genre sépia, pittoresque ou insolite, qu’on chine dans les brocantes, mais détournées et légendées comme un défi au bon sens commun. Avec un mauvais esprit, lui, tout ce qu’il y a de contemporain. Alors, découvrir, un jour, que l’auteur, qui signait Plonk et Replonk, en fait, était double, et que, de surcroît, il était suisse, ne pouvait qu’ajouter une intense curiosité au rire. Depuis, la publication de quelques recueils autoédités (J’aime mon facteur, Lapsus mordicus sont les derniers en date) a permis de cerner un peu l’œuvre, sinon d’en donner les clés. On les cherche aujourd’hui dans De zéro à Z, une sorte de best of (provisoire), dont il faut prendre au pied de la lettre – sinon au sérieux – le sous-titre : L’abécédaire de l’inutile. Le tour de force, en fait, n’est pas anodin qui consiste, indifféremment, à illustrer un sujet aussi pointu que « la presquitude des choses » ou à pointer « le mystère du quai qui recule au démarrage du train ». Au fil des quelque soixante-quinze images qui sont autant de stations d’un voyage en Absurdie, plus quelques textes courts, savoureusement aléatoires, qui en brouillent les frontières, infuse un humour aux influences volontairement floues – il est tentant de le rapprocher du nonsense graphique tel que le pratique le génial et trop méconnu Glen Baxter. Mais Plonk et Replonk se gardent bien de livrer un quelconque mode d’emploi.

Quand les premières cartes postales apparaissent en 1997, le marché ne dépasse guère le canton de Neuchâtel, à 10 kilomètres de la frontière française, dans le Jura suisse. C’est là que sont nés les auteurs. Ils sont frères et ils ont alors autour de la trentaine. A la ville, ils s’appellent Jacques et Hubert Froidevaux, comme tout le monde, et ils délirent déjà comme personne sous leur pseudo tout neuf, Plonk et Replonk (explication : « Plonk », fait le marteau, et « Replonk », pour mieux enfoncer le clou…). L’unique indice d’une quelconque vocation, c’est un fanzine publié à l’adolescence, Le Yaourt qui tue, cinq numéros au total, tirés à cent exemplaires, « chacun accompagné d’un sachet de terre », précise Hubert (ou Jacques). Quant à l’évocation du passage de Jacques par une école de com, elle semble amuser Hubert. Le premier déclic, c’est la découverte d’un lot de trois cents plaques anciennes chez un photographe local. Puis ils chinent dans les brocantes ces images en vrac qui évoquent les mœurs de jadis, les métiers, les faits divers, les cérémonies officielles, les rassemblements sportifs, les vues dites « pittoresques » de tout acabit — le tout, en plus, libre de droits…

Plonk et Replonk ont commencé avec ce qui les faisait rire tout près de chez eux, les monuments de La Chaux-de-Fonds : « Huit cartes postales, 300 francs suisses de bénéfice qu’on a bu en une soirée », commente Jacques (ou Hubert). Leur terrain de chasse s’est considérablement élargi depuis (1) , mais la démarche n’a jamais varié en seize ans, et au moins un millier de cartes postales trafiquées pour la bonne cause. Du banal documentaire périmé, de ce folklore social hors d’âge, l’imagination « quasi télépathique » entre les deux frères excelle à extraire ce qui y est déjà ou ce qu’ils y projettent : de l’insolite, du saugrenu, du farfelu, du loufoque, et pourquoi pas de l’énigmatique destiné à le rester… Puis, à grand renfort d’associations d’idées et de jeux de (et sur les) mots, de collages malicieux et de trucages facétieux (merci Photoshop !), Plonk et Replonk ont développé un style autant qu’un état d’esprit : la « plonkitude », ou l’utilisation de l’image pour faire un mot et vice versa. C’est toute une pyrotechnie à double détente, dont le but ultime serait, disent-ils, de « se bagarrer avec le poncif et l’idée reçue ».

Dans sa préface à De zéro à Z, le romancier Daniel Pennac, fan inconditionnel, constate : « [Les auteurs] sont plonk quand je les comprends et plonkissimes quand je ne les comprends pas. Il n’y a d’ailleurs aucune urgence à les comprendre. » Vous avez dit surréaliste ? Oui, évidemment, et dada, bien sûr. Et légèrement zinzin, aussi. Autant dire que Plonk et Replonk ne cherchent pas à refaire le monde, juste à prendre la supposée normalité de biais, pour ouvrir, sous l’angle le plus décalé qui soit, des perspectives vraiment inédites. Alors on se demandera encore longtemps par quel labyrinthe mental ils ont débouché sur l’image d’une « Explosion de morosité durant un cours d’hypocondrie analytique » ? Ou sur celle-ci : « Le général Dourakine posant devant le portrait de son fauteuil de combat favori » ? Quant au mystère de la « Falaise se jetant d’une falaise », à ce jour, il n’a toujours pas été élucidé…

La vérité sur le 6

Il y a ce que disent leurs images et ce sur quoi Plonk et Replonk gambergent. Par exemple : « Le nombre 6 suit le nombre 5 et précède le nombre 7, qui sont ses faire-valoir. Il a besoin d’eux pour savoir où il est. On peut dire du 6 qu’il est désinvolte. Il se laisse diviser par à peu près n’importe quoi. Il n’impose aucun respect, on le traite de demi-douzaine. Si on le retourne il devient 9. Graphiquement il ressemble à une cerise mutante ou à un spermatozoïde qui tourne à gauche. Autant dire à rien. Si le 8 peut incarner la notion d’infini, le 6 incarne la goutte d’eau qui fait déborder l’infini. Le chiffre 6 est énervant, torve, félon de nature. On lui doit tout de même l’hexagone, commode pour les abeilles. A sa décharge, il fait parfois partie des numéros gagnants du loto. »

Commandez le livre De Zéro à Z. L’abécédaire de l’inutile

Laisser une réponse