D’après une histoire vraie

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D’après une histoire vraie

Toute ressemblance avec une situation, avec un personnage existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence… ou pas. Soit donc un écrivain qui se prénomme Delphine, et que l'immense succès critique et public rencontré par son dernier roman, d'essence autobiographique et consacré à sa mère, laisse en plein désarroi. « Que vas-tu, que peux-tu écrire après cela ? », telle est la question qu'elle se pose — et telle est la question que, de front ou silencieusement, lui posent tant les personnes qui l'entourent que les lecteurs qu'elle rencontre. Delphine est donc comme vacante, lasse, qui plus est bientôt tourmentée par des lettres anonymes l'accusant d'avoir, dans son roman à succès, livré sa famille en pâture au public. Devenue « ce terrain si fragile, si meuble, si friable », Delphine, lors d'une soirée amicale, fait la connaissance de L., une jeune femme de son âge, 40 ans et des poussières. Elles sympathisent, se revoient, se découvrent ces affinités électives sur lesquelles se scellent les amitiés irrésistibles. Delphine s'attache à L., se confie, s'abandonne — tant de complicité affectueuse, c'est doux, c'est chaleureux, c'est beau, évidemment bien trop beau…

Sont-ce les exergues des chapitres, empruntées à Stephen King, notamment à Misery, l'impeccable thriller dans lequel l'Américain met en scène un romancier retenu captif par une de ses lectrices, qui placent le lecteur en état d'alerte ? Non, c'est plus sûrement l'habileté avec laquelle Delphine de ­Vigan, l'auteur de Rien ne s'oppose à la nuit (2011), distille les indices d'un dysfonctionnement originel dans cette ­relation amicale qui révèle peu à peu sa vraie nature : la prise de pouvoir d'un individu sur un autre. D'après une histoire vraie n'est pourtant pas un adroit roman à suspense — il en épouse avec intelligence les codes et la forme, mais ce n'est pas, au fond, ce dont il s'agit. Mettant en scène ce double d'elle-même, jouant de la porosité des frontières qui séparent le réel et la fiction avec une conviction qui donne par instants le vertige, sculptant la métaphore, Delphine de Vigan confère à son opus un enjeu intellectuel et esthétique passionnant. Un enjeu incarné, et pleinement contemporain, tant il participe des interrogations que suscite l'avenir de la forme romanesque, son rapport à la narration, à l'imagination, au réel (1.) On ne peut guère en dire davantage, sous peine de gâcher la lecture de ce roman, sans doute un peu trop long, mais qui se tient de bout en bout brillamment en équilibre, entre thriller et métafiction. — Nathalie Crom

 

(1) Sur ce sujet, lire notre enquête « Lecture, une page se tourne » en p. 14

 

Ed. JC Lattès, 480 p., 20 € (en librairie le 26 août).

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