Courir après les ombres

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Courir après les ombres

Ce roman-là a traversé l’horreur. Triomphé de l’épouvante. L’ex-avocate et chroniqueuse judiciaire de Charlie Hebdo, Sigolène Vinson, en apportait le manuscrit à son ami Bernard Maris le jour même du massacre par les frères Kouachi. Les feuilles tachées de sang jonchant le sol que certaines images de la télé montrèrent peu après, c’était ça : Courir après les ombres… Mais jamais la romancière n’utilise, ne rappelle ces moments tragiques. Son troisième roman reprend juste le cadre de sa jeunesse à Djibouti et sa passion pour la Corne de l’Afrique, déjà évoquée dans J’ai déserté le pays de l’enfance. Règne pourtant dans cette sombre ballade économico-poétique une mélancolie encore plus poignante sur fond de mondialisation assassine. Car Sigolène Vinson réussit ici l’impossible : marier la recherche des derniers vers de Rimbaud à l’expansionnisme chinois actuel, le verbe pur au politique. Obsédé par l’enfant terrible de Charleville-Mézières — l’artiste devenu lui-même marchand —, le héros, Paul Deville, est en effet un cynique trader en matières premières au service de la Chine et de sa conquête des ports africains. Il s’est juré de détruire par ses manoeuvres une mondialisation qu’il exècre. Et, entre deux négociations, erre avec un berger éthiopien sur les traces de Rimbaud, se laisse aimer par une jeune pêcheuse de Djibouti et une Française à la dérive.

Non seulement ce blues quasi durassien emporte sur les traces d’envoûtants fantômes, mais il conte avec une effroyable simplicité les mécanis­mes qui broient l’Afrique. On en sort épuisé et fasciné à la fois, émerveillé par les chemins parcourus avec Deville et terrifié par ce que celui-ci met en marche… Un livre de contemplation, qui apprend magnifiquement qu’il faut savoir renoncer. Parfois. — F.P.

 

Ed. Plon, 196 p., 17,90 €.

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