Corto Maltese. Vol. 13 Sous le soleil de minuit

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Corto Maltese. Vol. 13 Sous le soleil de minuit

Corto Maltese, l’impossible retour ? Vingt ans après la disparition de son créateur, Hugo Pratt (1927-1995), le marin le plus célèbre de la bande dessinée européenne reprend du service. Aux commandes, un tandem espagnol, Juan Díaz Canales (au scénario) et Rubén Pellejero (au dessin), auquel les ayant-droits ont confié la gestation et la réalisation de Sous le soleil de minuit, le treizième album des aventures de Corto. Pour les aficionados du héros romantique et solitaire, cette reprise était d’emblée vouée à l’échec. Comment se saisir d’un personnage que Pratt définissait lui-même comme « le fruit de toutes les expériences et de tous les personnages rencontrés pendant ma vie » ? En n’essayant surtout pas d’enfiler les habits du maestro italien ! Plus facile à dire qu’à faire : si les fans de la série ne veulent pas d’une pâle copie, pas question de révolutionner pour autant le marin, d’en chambouler tous les codes… Un sentier étroit semé d’embûches, sur lequel Canales et Pellejero ont avancé à petits pas, et encordés.

En embarquant Corto vers le Yukon, la ruée vers l’or, les forêts canadiennes peuplées d’Inuits révolutionnaires et de rebelles irlandais, Sous le soleil de minuit ne prend pas de risques inconsidérés et donne des gages aux lecteurs « historiques ». Outre l’iconique pelisse noire et duveteuse que Corto arborait lors d’une précédente escapade en Sibérie, ses familiers sont du voyage : Jack London, Raspoutine, et les nouveaux venus, Joe Boyle, Ulkurib ou Madame Yamada, endossent les rôles convenus de gentilhomme de fortune, dangereux psychopathe ou femme mystérieuse propres à la geste maltésienne. Bagarres et rebondissements se bousculent, et l’arrière-plan historique est particulièrement soigné. Prospection minière, contestations territoriales entre les Etats-Unis et le Canada, statut des peuples premiers : l’Amérique du — Grand — Nord, au début de la Première Guerre mondiale, offre à Corto un terrain de jeu à sa hauteur.

A l’exception d’un début peu convaincant — qui introduit, peut-être, des personnages appelés à prendre de l’importance dans les albums à venir —, Sous le soleil de minuit est solidement construit. Dommage qu’il soit aussi sage. Le grain de folie originel, les mystères et l’ésotérisme, la faculté de Pratt à mettre son personnage dans des situations surréalistes sont ici bien absents. Corto semble d’ailleurs en retrait, un protagoniste parmi d’autres, un peu comme il l’était dans La Ballade de la mer salée (1967-1969), ce tout premier album où Pratt n’avait pas encore décidé d’en faire le personnage principal de la série. Le dessin de Pellejero reflète ce choix. Exit (ou presque) les poses avantageuses du marin à casquette, les gros plans de profil, les mouettes qui parlent et le regard perdu dans le lointain. Les cases sont plus nombreuses, plus petites, plus explicites.

Raccourci, Corto ? Abîmé, diminué ? Non, concentré. Là est la plus grande réussite du tandem ibérique, qui a su capter l’esprit du personnage et trouver la bonne distance, ni incongrue, ni servile — quoi qu’en dise Joann Sfar, candidat malheureux à la reprise de la série… On retrouve son regard mi-abusé, mi-désabusé, et certains de ses aphorismes auraient pu être de la main du maître. Imparfait, un peu bavard, Sous le soleil de minuit n’a rien de la catastrophe annoncée. Il faut le prendre pour ce qu’il est : des gammes appliquées, un exercice de style plutôt réussi là où beaucoup se seraient rompu l’échine. Canales et Pellejero ne reprennent pas Corto où Pratt l’avait laissé en 1992, dans les brumes mystiques de son ultime opus, Mû. Pour les deux auteurs comme pour leurs commanditaires, il s’agit moins de ressusciter le marin à l’identique que de le réanimer et retrouver le souffle épique de ses premières années. Ce nouvel album inaugure un cycle davantage tourné vers l’aventure et l’Histoire, qu’il faudra juger sur la distance. Attention, pourtant, à ne pas oublier la part de rêve et de mystère, les silences sans lesquels Corto ne serait qu’un marin parmi d’autres. — Stéphane Jarno

 

Ed. Casterman, 88 p., 16 €.

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