Correspondance I (1949-1960)

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Correspondance I (1949-1960)

Elle était attendue depuis des années ; on en redoutait le pire, tout en espérant le meilleur (1) . Voici donc qu’enfin on peut lire le premier tome de la correspondance entre Paul Morand (1888-1976) et Jacques Chardonne (1884-1968). Le Journal inutile du premier, paru en 2001, avait déjà montré dans quels abîmes putrides peut sombrer un homme de lettres, accessoirement plume major de Pierre Laval pendant l’Occupation. De ce fait, la curiosité légitime, tant historique que littéraire, qui conduit à entrer dans ce pavé de plus de mille pages est-elle teintée de ce qu’il faut bien appeler une forme de voyeurisme.

Durant les onze années que couvre ce volume, les deux hommes, complices plus qu’amis intimes, s’écrivent souvent – plus de 800 lettres –, se rencontrent parfois, jamais ne se perdent de vue. A mon extrême droite, voici donc Paul Morand, homme toujours pressé de quitter son exil de Vevey pour gagner Paris, Madrid, Lisbonne ou Tanger. Sur la même ligne idéologique, quoique un peu plus tempérée, son aîné de quatre ans Jacques Chardonne, plus casanier, moins téméraire, dont les pérégrinations se réduisent généralement au trajet qui sépare sa maison de La Frette-sur-Seine (Val-d’Oise) de son bureau chez Stock. De quoi parlent-ils, ces deux furieux de la plume, marqués à la culotte par la Collaboration ? De problèmes d’édition, des oeuvres de Morand à publier ou republier, des critiques littéraires, des campagnes de promotion et de quelques confrères, jeunes et vieux, dont bien peu leur inspirent de la bienveillance. On les sent tous deux à l’affût de ceux qui pourraient sinon leur succéder, du moins partager leur vision des choses et des personnes. Comme deux officiers supérieurs des lettres, devant lesquels défileraient de jeunes hussards : Bernard Frank, toujours un peu suspect parce que juif et anciennement proche de Sartre ; ou Roger Nimier, sur lequel ils fondent quelque espoir.

Quant aux autres écrivains, beaucoup sont évacués avec mépris – Proust ne serait que « poudre aux yeux », estime Chardonne. Celui-ci, dans les lettres révérencieuses qu’il adresse à Morand, le couvrant d’éloges – « foudroyant », « merveille », « talent pur » –, s’avoue par ailleurs un peu perdu dans un monde de l’édition désormais otage de la télévision, « petit guignol pour imbéciles », et qui ne respecte plus les vraies valeurs littéraires : « La littérature, écrit-il, c’est un bordel. Aucune justice, aucun jugement qui ne soit demi-folie. » On ne peut s’empêcher de goûter davantage les réponses de Morand, ses avis d’ancien diplomate sur la politique, ses digressions, ses références inattendues et brillantes, ses coups de griffe. Camus ? « Sans personnalité, le Nobel, c’est la Résistance » ; Valery Larbaud ? Un « petit garçon qui n’a pas voulu grandir ». Roger Vailland ? « Sans intérêt. » Mauriac, Cocteau et Gide en prennent aussi pour leur grade.

Des regrets ? Jamais ! Pour Morand, Churchill reste le « fossoyeur de l’Europe ». Quant aux socialistes, « comme toutes les petites gens, (ils) n’ont pas le sens de l’argent ». En mai 1957, il déjeune à Düsseldorf avec Arno Breker, le sculpteur jadis proche de Hitler et de l’ancien ambassadeur du Reich à Paris, Otto Abetz. Pas de quoi effaroucher Jacques Chardonne, son sparring-partner idéologique, qui n’en démord pas – « On oublie que l’extermination était réservée à un petit nombre de camps. » Les homosexuels, les juifs, le camping, les mœurs de la jeunesse… : c’est dans la haine que les deux compagnons semblent puiser l’énergie de survivre.

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