Comme les amours

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Comme les amours

Le réel n’est pas que tangible, événements, faits, lieux, mots prononcés – il est cela, bien sûr, mais à quoi s’ajoute la somme sans fin des pensées et de leurs revirements, des intentions, des intuitions, des éclats de désir ou de mémoire, des hypothèses, des possibles demeurés inaccomplis. C’est de ce réel vertigineux, inaccessible parce que sans contour, sans limite, que se saisit l’écrivain Javier Marías dans Comme les amours, exercice romanesque éblouissant fonctionnant tout ensemble comme un roman à suspense et une fable métaphysique déployant une méditation captivante sur les thèmes forcément mêlés de l’amour, de la mort.

Tout commence donc comme une narration classique, plutôt attrayante : tous les matins, à la terrasse du café où elle prend son petit déjeuner, une jeune femme prénommée María, la narratrice du roman, observe discrètement un couple qu’elle a surnommé le Couple parfait – parce que le spectacle non ostentatoire mais éclatant de leur amour, de l’harmonie qui règne entre eux deux, lui « donne plaisir et quiétude », confère à sa journée à venir une aura d’optimisme. Cela dure des mois, jusqu’au jour où María apprend que l’homme est mort brutalement, poignardé par un sans-domicile-fixe déséquilibré. Le Couple parfait disparaît donc de son paysage, mais un beau jour, à la terrasse du café, réapparaît la femme, seule donc désormais, et dont María décide de s’approcher, mue par un sentiment mélangé de sympathie et de curiosité.

Le défunt s’appelait Miguel Deverne ou Desvern – sur cette question, le flou persiste… –, apprend María, son épouse se nomme Luisa Alday, ­accablée par le deuil et l’absence de l’homme qu’elle aimait. Instantanément, voilà María comme aspirée par ce chagrin, obsédée et mentalement envahie par cette femme navrée et par ceux qui l’entourent, notamment le ­dénommé Javier Diaz-Varela, qui fut le meilleur ami de Miguel et veille désormais sur Luisa.

La piste de lecture de Comme les amours ouverte par les toutes premières pages du livre, celle qui relève presque du roman policier, tourne rapidement court, tandis que l’on pénètre toujours plus avant dans le patient, précis et enveloppant dispositif narratif que met en place Javier Marías. Si enquête il y a, son objet n’est pas tant de savoir qui a guidé la main de l’assassin de Miguel Deverne/Desvern – on le saura, de fait, mais peu importe ou presque – que de réfléchir à la place qu’occupent les morts auprès des vivants. De quelle façon pèsent sur ces derniers la mémoire de ceux qui ne sont plus là, les promesses qui leur ont été faites ? Quelle sorte de crime est l’oubli ? Que devient l’amour lorsque celui ou celle qui le suscitait n’est plus là ? Quelle ambivalente curiosité, ou secrète perversité, nous incite parfois à imaginer la mort d’un être proche, aimé ? De quel meurtre, quel sacrilège nous rendons-nous alors coupable ? Ce ne sont là que quelques-unes des interrogations que soulève, examine, évalue moralement et poétiquement le roman hautement spéculatif de Javier Marías. Lequel convoque, en outre, en guise d’interlocuteurs privilégiés, Balzac (Le Colonel Chabert), Dumas (Les Trois Mousquetaires) et Shakespeare (Macbeth), pour avec eux, non pas en marge de la narration mais à travers elle, converser sur l’amour, la mort, la folie, le meurtre.

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