« Conceptuellement muette » : c’est ainsi que cette adolescente grecque de 14 ans informe ses proches que, désormais, et pour une durée indéterminée, elle ne parlera plus. C’est que tout se brise autour d’elle. Ses parents se séparent, son père est au chômage, son frère décide d’aller vivre à Londres, sa soeur ne la comprend pas. Quant à Athènes, sa ville, elle est frappée par la crise, celle qui ferme les boutiques, jette les gens à la rue et attise la colère contre la Troïka. Colère qui s’exprime dans les manifestations, souvent violentes, et sur les murs, par les graffitis, les tags et les inscriptions au pochoir jetés sur les façades des maisons et les grilles des magasins. Des phrases écrites qui deviennent l’expression d’une démocratie aux abois, rongée par les exaspérations et meurtrie par les pancartes « à vendre » ou « fermé pour toujours ».
Au coeur de cette révolte collective et de ce mutisme auquel elle se cramponne, l’adolescente se dit qu’elle est une « jeune femme en construction », comme elle l’écrit au rouge à lèvres sur un miroir. Alors elle observe les gens, griffonne des phrases sur le cahier avec lequel elle communique, compte les mots, évalue la longueur des phrases pour les inscrire à son tour sur les murs de la ville. Elle fréquente les bibliothèques pour s’informer sur les graffeurs et autres performeurs célèbres, lit des ouvrages d’Aristote, d’Euripide et de Sophocle, pour en tirer des mots qu’elle transmet à ses contemporains.
Ecrire au marqueur pour redonner de l’espoir, pour inciter au travail de la conscience et lutter, à coups de mots, contre le chaos qui s’installe : « si un tombe, nous tombons tous », « savoir, c’est se souvenir », « toucher le fond, remonter ». Sur un mur : « ça va aller, je suis là » ; et à l’entrée du métro : « on traverse cela ensemble ». L’odyssée urbaine de cette jeune fille est un très bel hymne à l’espoir. Elle va avoir 15 ans, et nous interroge tous. — Gilles Heuré
Ed. du Seuil 176 p., 17 €.
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