Carthage

Ajouter un commentaire

Carthage

La jeune femme a disparu, comme engloutie dans le paysage de ravins échancrés, d'énormes rochers, de pins aux branches serrées. « Prends-moi à sa place, mon Dieu. Si Tu dois prendre quelqu'un… fais que ce soit moi », prie Zeno, son père oppressé. Apercevant soudain, de l'autre côté du torrent, une forme inerte posée au bord de l'eau — mais non, « il vit que ce n'était pas sa fille sur l'autre rive, mais la carcasse à demi décomposée d'une jeune biche, la tête encore belle, dépourvue de bois, et la poitrine déchiquetée, sanglante, dépecée par des charognards ». La scène intervient au tout début de Carthage, le nouveau roman de Joyce Carol Oates, et on ne sait alors comment interpréter ce présage. Quel message faut-il lire dans les entrailles de la biche sacrifiée ? L'assurance que la jeune femme introuvable est morte déjà, ou que son effacement n'est qu'un leurre ?

Il faudrait toutefois n'avoir jamais lu l'un des innombrables et si souvent admirables romans de Joyce Carol Oates pour imaginer, ne fût-ce qu'un instant, que le suspense lié à la disparition de la jeune Cressida puisse constituer le moteur de Carthage. Cette absence inexpliquée, la tension nerveuse et les interrogations anxieu­ses qu'elle suscite ne sont ici que des circonstances, constitutives d'un climat favorable au déploiement des motifs réels du roman : l'auscultation minutieuse de la psyché de l'Amérique contemporaine, à travers celle des individus immergés dans ce drame aux allures de fait divers provincial.

Il y a là Zeno, le père de la farouche et impénétrable Cressida, un héros américain à sa façon, « un homme exemplaire », bon mari et bon père, notable de la petite ville de Carthage. Auprès de lui son épouse aimante et sa fille aînée, la gracieuse Juliet. Laquelle est fiancée à un autre héros de l'Amérique, bien mal en point celui-là, jeune soldat de retour d'Irak, physiquement et psychologiquement mutilé. Des archétypes dont Oates fait d'authentiques personnages de chair, d'aspirations contradictoires et de secrets. Car, ici comme toujours, l'éminente pénétration psychologique dont Oates fait preuve, son aptitude à fouiller en profondeur dans le labyrinthe secret des consciences, étonne et captive. Tout autant que sa façon de ne jamais s'en tenir à ce niveau d'exposition et de compréhension des êtres pour laisser transparaître, en deçà de la psychologie, les corridors infinis de l'inconscient où évoluent les pulsions qui échappent à la pensée et au langage, les passions pures, les défaites tues, les hontes et les conflits enfouis.

L'intrigue de Carthage évolue sur une petite dizaine d'années, entre l'ordinaire province américaine et le couloir de la mort d'un centre pénitentiaire de haute sécurité. Elle embrasse et brasse de multiples thèmes – la violence, la faute, la culpabilité, le pardon… – que Oates ne se contente pas de décliner au fil de la narration, mais auxquels elle offre des développements méditatifs intensément métaphysiques.

Commandez le livre Carthage

Laisser une réponse