Cartel

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Cartel

L’écriture est sèche, sans apprêt ; elle cherche l’efficacité, le chemin le plus simple et le plus direct. Le regard s’incruste, précis, chirurgical, sans pudeur excessive. La langue est familière, sonne juste et les mots percutent. D’une certaine façon, on pourrait parler de style journalistique, ce qui n’est pas forcément une injure. L’essentiel est d’être immédiatement compris, de faire courir un récit fluide, d’être lu et d’embarquer le lecteur. Le pari est tenu haut la main, malgré les sept cents pages grand format et la violence ahurissante du propos. Après La Griffe du chien, grand oeuvre désormais classique, paru en français en 2007, et qui mettait en scène, entre 1975 et 2000, vingt-cinq ans d’histoire du trafic de drogue entre le Mexique et les Etats-Unis, Don Winslow livre une suite monumentale, peut-être encore plus sombre, parfaitement désespérée, de cette épopée sans fin. Celle d’une guerre sans cesse recommencée, devenue elle-même une industrie : «Dans les années 1990, la guerre concernait quelques dizaines de combattants à la fois. Aujourd’hui, les cartels rassemblent des centaines d’hommes, voire des milliers, d’anciens militaires pour la plupart, mais aussi d’anciens policiers et d’autres toujours en fonction.»

Don Winslow raconte ainsi, entre 2004 et 2014, la guerre des cartels dans ses nouvelles dimensions, quand la barbarie n’a plus de limites, quand il ne s’agit plus que de drogue, mais aussi d’affaires, de finance et de pouvoir, quand les flux d’argent sale se mêlent à ceux de l’économie classique, avec la complicité des politiques. Parfaitement documenté, le texte joue sur la longue focale, s’intéresse aux individus, multiplie les points de vue, enchaîne les scènes courtes, donnant à voir l’ensemble dans toute sa complexité.

Si le style est journalistique, le propos est également documentaire, au plus près du réel, les personnages souvent inspirés de figures des cartels mexicains, à l’instar d’Adán Barrera, reflet de Joaquín Guzmán, dit «El Chapo», maître surpuissant du cartel de Sinaloa. Mais, comme La Griffe du chien, Cartel est d’abord une création littéraire, une fresque épique au souffle singulier, le récit naturaliste se hissant à la hauteur de la tragédie. L’essence même du roman noir. — Michel Abescat

 

The Cartel, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, éd. du Seuil, 720 p., 23,50 €.

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