Camus

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Camus

Paraissant pour célébrer le centenaire de la naissance d’Albert Camus (1,) né le 7 novembre 1913 en Algérie, ce Cahier de L’Herne, et c’est là sa réussite, n’est pas un ouvrage à lire d’une traite : il faut le feuilleter, prendre connaissance d’un article, en sauter un autre pour y revenir plus tard. C’est un bel ensemble qu’il faut aborder en mouvement – ce mouvement auquel Camus, écrivain et homme de théâtre, était tant attaché. Plus d’une cinquantaine de contributeurs, des extraits de la correspondance, des romans et des carnets de Camus, des entretiens inédits avec ceux qui l’ont connu, des interviews que Camus lui-même avait accordées : cette somme – dirigée par Agnès Spiquel-Courdille et Raymond Gay-Crosier, par ailleurs éditeurs de Camus en Pléiade – permet d’aborder ou de mieux connaître l’écrivain, dans toutes ses facettes et activités.

On y voit un homme, marque aujourd’hui déposée de l’intellectuel, à la fois solitaire et engagé dans les combats de son siècle, dont l’oeuvre a échappé au purgatoire. La pensée de Camus, « véritable école de la nuance et de la complexité », écrit Agnès Spiquel-Courdille, court tout au long de ces pages. La nuance, justement, il en est ici beaucoup question. Réticent à l’égard de tous les dogmatismes, Albert Camus, qui avait adhéré au Parti communiste en 1935, écrivait quelques années plus tard à propos des « marxistes » : « Peu d’hommes ont poussé plus loin la méfiance à l’égard de leurs semblables. Les marxistes ne croient pas à la persuasion ni au dialogue. » Sa vie durant, les dou­tes ne cessent de l’étreindre, sur son oeuvre ou ses engagements, et il répète qu’il ne prétend guider personne, affirmant marcher « du même pas que tous dans les rues du temps ». Croyant aux dieux comme à « un plaisir d’imagination », il croit au roman pour les mêmes raisons. Dans la dernière interview qu’il a donnée, en décembre 1959 – il est mort le 4 janvier 1960 –, il affirme que si toutes les techniques l’inté­ressent, faisant allusion au « nouveau roman », il entend les utiliser librement, en prenant garde de privilégier le personnage et l’histoire.

Les témoignages publiés dans ce Cahier de L’Herne confirment un Camus — écrivain, mais pas philosophe, comme il tenait à le préciser – passionné et actuel, portant ses livres au-delà des modes. En quoi aurait-il pu être dépassé d’ailleurs ? En suivant la chronologie de ses écrits, on ne peut que constater à quel point les thèmes qu’il aborde demeurent d’actualité : ses articles de 1939 sur la misère en Kabylie et sur le rôle de la presse, ses réflexions sur l’écriture, et toujours son regard inquiet, celui qu’il convient de porter sur tel ou tel événement. Ce Cahier propose aussi de jolis moments. La Chute, son roman le plus noir – le préféré de Jean-Paul Sartre, sans doute pour cette raison –, porte-t-il un bon titre ? Son ami d’enfance, André Belamich, à qui Camus exprimait son hésitation entre La Chute et Le Pont, préférait quant à lui le second : « Il ne faut pas choisir La Chute, disait-il à Camus, parce qu’on dira La Chute de Camus, ce qui serait idiot. » Ce à quoi Camus répondit qu’il y avait bien Les Illusions perdues de Balzac…

Le « cher petit », ainsi que l’appelait affectueusement Louis Germain, son instituteur, apparaît comme un homme définitivement vivant : « Il était énergique, rêveur, précis, passionné, taciturne, malicieux, secret, moqueur, tragique, théâtral, simple, généreux, glacial, angoissé et gai… » se souvient Mette Ivers, l’amour des trois dernières années de sa vie. Cet entretien fait partie des pages du Cahier qui éclairent l’homme. Olivier Todd évoque, lui, sa première rencontre heurtée avec Camus dans une brasserie. La comédienne Catherine Sellers dit combien il était heureux sur une scène de théâtre, veillant à tout, costumes ou diction, mais surtout attentif aux mouvements du corps. Jacqueline Bernard décrit le journaliste de Combat. Quant à l’universitaire japonais Hiroshi Mino, il confirme que Camus est, aujourd’hui, moins une idole à célébrer qu’un écrivain qui donne à penser. Ainsi, explique-t-il, après le séisme et le tsunami qui ont ravagé le Japon en 2011, nombreux furent les Japonais à évoquer La Peste : « Camus a présenté au moyen de l’allégorie toutes les faces du mal absurde qui surprend l’humanité : guerres, fascismes, fléaux, calamités, catastrophes. C’est pourquoi La Peste a tant touché le cœur des Japonais. » Camus, voyageur du siècle et au-delà…

 

Cher Albert, Cher Louis : Camus, côté correspondance

 

Les « mon cher » sont le lot de nombre de correspondances entre amis, mais ici l’expression traduit bien le lien fraternel entre deux écrivains qui ont traversé les mêmes circonstances difficiles — santé, guerre ou politique. Cet échange épistolier inédit à ce jour (2) témoigne, au-delà des formules convenues entre hommes de lettres, d’une authentique rencontre, de l’intérêt de chacun pour l’oeuvre de l’autre. Albert Camus et Louis Guilloux (1899-1980) se conseillent des livres, s’inquiètent d’un silence, se réconfortent et se confient leurs petites joies. Heureux Camus qui fait du bateau à voile en 1946, « la tête vide et le cœur content » ; inquiet Camus qui pense que son roman La Peste est « totalement manqué » et qui, devant Le Sang noir, se sent « très petit garçon » : « Je ne connais personne aujourd’hui, écrit-il à Guilloux, qui sache faire vivre ses personnages comme tu le fais. » Pour les doutes, « je suis passé par là », le réconforte Guilloux, le Briochin amical, qui l’espère dans des « dispositions moins pessimistes ». Si certains épisodes, comme la querelle Camus/Sartre au sujet de L’Homme révolté, sont peu évoqués, c’est que les hommes se voient souvent à Paris. Pourtant, quand Camus avoue se trouver dans « le trou », Guilloux trouve les mots pour lui conseiller la patience : « Il y a un temps pour tout, et pour la semence et pour la fleur. »

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