Bravo

Ajouter un commentaire

Bravo

Comme naguère Microfictions (prix France Culture-Télérama 2007), Bravo, le nouveau livre de Régis Jauffret, est ­labellisé roman. C’est que, expliquait l’écrivain il y a huit ans, « de même qu’une foule est plus que la totalité des individus qui la composent », une collection de nouvelles peut être davantage qu’une simple addition de récits. Il faut et il suffit, pour cela, que l’ensemble ait une cohérence et un dessein — alors, d’une nouvelle à l’autre, c’est une dynamique qui se met en place, un univers qui s’installe, une galaxie nouvelle qui se déploie. En ce sens, Bravo est bel et bien un roman, une oeuvre au noir où se reconnaît d’emblée, et se démultiplie au fil des pages, l’empreinte particulière de l’auteur de Clémence Picot : une détermination à se colleter avec l’humain, à le traquer jusque dans ses recoins les moins fréquentables ; une capacité à sonder les psychés déréglées, au bord du gouffre, pour, sans ménagement, proposer à chacun de reconnaître un peu de lui-même dans cette indécence, cette folie, cette cruauté ­retorse ou barbare.

Dédiées « aux êtres qui ont dépassé le cap de la soixantaine et habitent désormais ce continent gris peuplé d’humains que dans ma jeunesse on appelait les ­petits vieux » — un continent dont, notons-le, Régis Jauffret, né en 1955, aborde le rivage… —, les seize fictions qui composent Bravo donnent vie à un échantillon d’hommes et de femmes piochés dans « le convoi des vieillards » et engagés dans une danse macabre. Une représentation enragée, entre réalisme et Grand-Guignol, dont l’un des participants, l’un des premiers narrateurs donne le ton : « Je me suis dit que malgré tout les vieux étaient plus vivants que les morts. Ce n’était pas une ­revanche, mais on est parfois si désespéré. Une phrase idiote vous réjouit. »

Vivants et désespérés, ils le sont tous, ces vieillards qui se succèdent sur le devant de la scène, l’une le visage ­irrémédiablement couvert « d’un voile de temps », tel autre continuant de veiller, comme « un ange gardien », sur l’enfant profané qu’il fut jadis, un autre encore confiant ses faiblesses et ses lâchetés (« Je calomnie ma vie pour ne pas avoir à verser une larme de nostalgie avant de tirer ma révérence »), quand son voisin continue de louer les vertus de la méchanceté (« Plus la tendresse est rare, plus elle semble douce »). Ils sont souvent indignes, non seulement l’âge n’a pas émoussé leurs mauvaises intentions, mais il les autorise à donner libre cours à leurs plus mauvaises pensées. Maltraitants, maltraités, exténués, ils tirent le bilan navré de leurs existences en fin de course. Jauffret se fait leur scribe, ironique, empathique, parfois tendre, armé d’une phrase dont la beauté transcende le sarcasme et console de tant de noirceur. — Nathalie Crom

 

Ed. du Seuil 284 p., 20 €.

Commandez le livre Bravo

Laisser une réponse