Boussole

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Boussole

L'aiguille d'une boussole indique en principe le nord, mais celle, facétieuse, de Mathias Enard le dirige vers l'est ou le sud. Partout où l'Orient a pu être désigné comme tel, depuis des siècles, au-delà des frontières que les Etats, les guerres ou les nationalismes ont dessinées. L'Orient. Où commence-t-il ? Qui s'en est inspiré, pour quels motifs et dans quelles proportions ? Pour Franz Ritter, le musicologue viennois qui est le narrateur de ce livre prodigieux, les réponses sont constamment à rechercher. Moins dans les colloques universitaires ou les instituts qui accueillent les « orientalistes » que dans les oeuvres elles-mêmes, qu'il faut savoir déchiffrer et nettoyer des commentaires de leurs contemporains.

Pour sa partie, la musique, donc, il en est certain : Mozart, Beethoven, Schubert, Liszt, Berlioz, Bizet, Rimski-­Korsakov, Debussy, Bartók, Schönberg… sur toute l'Europe, du xviiie au xxe siècle, a soufflé le vent de l'alté­rité. « Tous ces grands hommes, affirme-t-il, utilisent ce qui leur vient de l'Autre pour modifier le Soi, pour l'abâtardir, car le génie veut la bâtardise, l'utilisation de procédés extérieurs pour ébranler la dictature du chant d'église et de l'harmonie. » Franz Ritter, solitaire, fils à maman plutôt qu'aventurier, ne cesse de discuter de ces questions avec Sarah. Cette universitaire nomade, qui parcourt le monde, semble s'abîmer en Malaisie ou en Inde, en quête de réponses elle aussi — plus probablement pour faire durer et rallonger le questionnement. Cette femme à la chevelure de cuivre, au « sourire de corail et de nacre », est l'amour de Franz, chaste et inaccessible à force d'être complice. Tous deux convolent en justes noces intellectuelles, rencontrant des chercheurs, certains plus ou moins espions au service du pays dont ils sont les ressortissants, d'autres non, comme ce spécialiste de la prostitution à la fin de l'empire ottoman, qui erre dans les bas-fonds.

Une boussole, vraiment ? Ce roman d'une extraordinaire richesse est plutôt un tapis volant : il nous fait voyager dans les textes de tous les pays, nous convie à suivre Flaubert ou Chateaubriand, voyageurs d'Orient, et nous rappelle aussi qu'à Palmyre, des fous détruisent des édifices. Un roman d'amour donc, charnel et passionné par tout ce que la rencontre avec l'Orient peut apporter de poésie et de savoirs. — Gilles Heuré

 

Ed. Actes Sud, 384 p., 21,80 €.

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