Belle et Bête

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Belle et Bête

POUR

Pourquoi tant de haine ? Pour déclencher une si incongrue, si ridicule guerre médiatique, que se joue-t-il au juste à travers le fascinant récit de Marcela Iacub, ce conte fantastique où sont explorées au plus dérangeant, au plus intime nos limites amoureuses, sexuelles, sociales, politiques ? La brillante sociologue, éternelle empêcheuse de penser en rond, serait-elle la première « vraie » victime de DSK ? Justement parce qu’elle refuse de se poser en victime, et que cela dérange nos conformismes, nos bienséances, nos certitudes ? Parce qu’elle crâne et que cela agace ? Surtout les femmes. Et les écrivaines, qu’elle défie par son audace littéraire. Toutes les raisons sont justes et bonnes pour faire œuvre d’art, toutes les expériences aussi. Et si chef-d’œuvre Belle et Bête n’est pas, œuvre rare et bouleversante reste cette expédition au royaume de nos pulsions, là où est tapi l’obscur, le refoulé, l’interdit, le secret, l’inavouable. La bête. Il y a du mystique dans la quête éperdue de la narratrice à plonger, à s’abandonner dans ce qu’elle croit être la fange pour se vaincre et se pardonner, s’aimer. Elle trouve l’abjection, la boue auprès de celui qu’elle appelle « le roi des cochons », vraisemblablement DSK, mais dont on oublie vite l’identité réelle, tant le personnage romanesque est devenu envoûtant dans sa dualité, sa puissance sexuelle occulte et sa médiocrité citoyenne, ses humiliations conjugales et sa volonté d’avilir. Et peu importe qui est au « vrai » l’épouse vampire, extraordinaire personnage de liaisons si dangereuses… Au bout de quelques pages, on se fiche totalement des allusions, des clés cachées. L’aventure intérieure de l’héroïne l’emporte, sa descente aux enfers de la passion, telle une religieuse portugaise qui nous écrirait aujourd’hui…

La force de Belle et Bête est aussi de suggérer, non sans humour, les liens du sexe et du politique, de nos sexualités et de nos façons de penser, voire de voter. Marcela Iacub n’a pas fini de piquer, de gratter là où ça fait mal. Mais pourquoi donc avoir compromis son talent en se prêtant si complai­samment au coup médiatique ? Par manque de confiance en l’œuvre même ? Par volonté de provoquer une fois encore le cochon pour mieux le retrouver ? Au prix de sa souffrance (et grâce à l’action des médias), elle aura, en tout cas, réussi un bien paradoxal exploit : réhabiliter DSK auprès des bien-pensants qui le lynchaient depuis des mois. Il devrait lui en être reconnaissant.

 

CONTRE

Petite supplique aux laudateurs de Belle et Bête : finirez-vous enfin d’empiler les références — les saints patrons Kafka, Esope, Laclos, Genet ont déjà comparu, on n’attend plus que Homère — pour qu’elles projettent sur le livre de Marcela Iacub un halo littéraire ? A croire que, tout nu, ce roman manque un peu de littérature… Belle et Bête : deux mots peints en jolies lettres blanches au cul d’un bateau qui prend l’eau. Parce qu’il y a des trous dans cette embarcation. Première béance : en nous livrant à la fois un roman et son « mode d’emploi » sur six pages dans Le Nouvel Observateur, l’auteure a fusillé notre lecture. Du récit, elle a donné les clefs : mon homme, c’est DSK. Cochon comme ci, cochon comme ça — et surtout cochon comme dans mon livre. Un beau tue-l’amour (de la littérature).

Et ça ne s’arrête pas là. Car Marcela Iacub a mené, nul ne l’ignore désormais, une « enquête de terrain ». Passons sur l’élégance du procédé, pas sur le fait que le frêle esquif qu’elle a tiré de son aventure hésite, et sur cent vint et une pages, entre deux caps : la « fiction » et l’interprétation. Le livre gîte. Parfois, mais c’est bien rare, la « fable » nous fait oublier le hors-champ — New York, Lille, Anne Sinclair, les putes, les flashs, bref, le spectacle ; las, quand elle y parvient, c’est pour être mieux plombée par le regard de l’essayiste ­Iacub sur l’amour d’un cochon qui a le malheur d’être un homme. Chroniques de Libé, le retour… Ballotté, le lecteur s’agrippe au bastingage. Il espère qu’un souffle viendra enfin gonfler les voiles, mais finit par passer ­par-dessus bord, fatigué de ces complaintes. Le livre est bref, la traversée si longue… Une chute sans gravité d’ailleurs, car l’histoire de Belle et Bête continue dans la presse. Par un étrange jeu de vases communicants, et dans une totale confusion des genres — les arguments littéraires, « c’est un livre ! c’est un roman ! c’est du Sade ! », balayant avec une folle ingéniosité les questions d’ordre judiciaire ou déontologique —, la jonction s’opère d’elle-même : Belle et Bête, c’est toujours l’affaire DSK. Il fallait avoir les reins très solides pour arracher le « scandale » aux griffes des médias. Pour l’emmener ailleurs, lui donner une autre dimension — le faire entrer en littérature. Marcela Iacub ne les avait pas. Les médias ont repris leur bien.

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