Au bord des fleuves qui vont

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Au bord des fleuves qui vont

Une fois n’est pas coutume, célébrons le traducteur avant l’auteur. Voilà quatre ans que Dominique Nédellec permet de goûter en français la puissance charnelle et mortuaire de l’écriture d’António Lobo Antunes. Quatre ans qu’il donne un relief incomparable à ces phrases sans verbe qui s’enroulent autour d’idées fixes : tasses ébréchées, animaux meurtris, mots qui voltigent comme des projectiles sous les yeux des personnages pour faire partie intégrante de la fiction. Grâce soit donc rendue à ce traducteur de renouveler le miracle à chaque nouvelle parution. Que ferions-nous sans lui ? L’addiction à cette littérature est telle, quand on a goûté une première fois ces mots éparpillés dans le temps, l’espace, la faune, la flore, la pensée…

Dans ce nouveau roman, António Lobo Antunes est sur le lit numéro 11 d’une chambre d’hôpital, entre le 21 mars et le 4 avril 2007. A la maladie qui l’empêche de voir la beauté de la nature derrière les vitres, il a trouvé des noms aussi magnifiques qu’insolites : « la bogue », « la mouche », « la louve trottinant dans le maïs » ou « la tache sur la chaussure ». Le patient ne sait plus quel âge il a, il voyage dans sa mémoire, tronçonne les phrases qu’il laisse en suspens, se souvient que « les eucalyptus épelaient le vent » et disaient des mots comme « surprise » ou « terreur ». Il s’astreint au silence pour goûter le présent, se bat contre la conscience d’être en vie qui devient tellement obsédante qu’elle finit paradoxalement par empêcher de vivre. Tous les livres d’António Lobo Antunes sont secoués par ces injonctions contraires de la pensée, source d’angoisse et de libération. Comme toujours, la poésie des origines triomphe. Place à l’enfant « avec ses petites épaules en coquillages », aux aguets, avide de tout engranger pour subsister jusqu’à la fin des temps. — Marine Landrot

 

Sôbolos rios que vão, traduit du portugais par Dominique Nédellec Ed. Christian Bourgois 252 p., 18 €.

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