Apaisement

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Apaisement

Rarement on a vu diariste aussi peu narcissique, centré sur lui-même pour mieux se connaître, à l’écoute de ce murmure lointain, ténu, porteur de l’essentielle vérité. Avec une humilité, une constance et une exigence exemplai­res, sans aucun contentement de soi, Charles Juliet creuse en lui-même, et invite le lecteur à se blottir avec lui dans la lumière entrevue au bout du tunnel. Ce septième tome de son journal, écrit entre 1997 et 2003, consacre cet « apaisement » qui est le sien, après des années de quête intérieure obsessionnelle, où « tout désir retombait aussitôt, mort-né, étouffé par une lucidité ravageuse ». La lucidité subsiste, toujours plus souveraine et plus aiguë, mais elle n’étouffe plus, elle accueille, elle tempère, elle réchauffe. Celui qui fut connu pour son récit autobiographique L’Année de l’éveil semble bien être proche de l’atteindre, au sens bouddhique du terme. Jamais Charles Juliet ne se laisse posséder par ses pouvoirs, jamais il ne crie victoire, et pourtant il a conscience de l’importance de sa découverte, source de plénitude enfin goûtée : « Désormais, la vie, je sais qu’elle a sa source en moi. »

L’homme a cheminé. Ce Journal remonte la trace de ses pas, jusqu’au plus loin qu’il puisse se rappeler. Rejaillissent de sa mémoire ces heures interminables où il gardait les vaches, petit garçon, dans une solitude tour à tour contemplative et pleine d’effroi. Ces années de haine et de colère, lorsqu’il était enfant de troupe, où il éprouva de réelles envies de meurtre. Plusieurs de ses livres ont déjà évoqué ces épisodes fondateurs, mais Charles Juliet a l’art de revisiter sa propre histoire avec une sérénité grandissante, portée par les mots les plus simples. Au fil des ans, il a défriché une langue qui lui paraissait presque malcommode à ses débuts, tant les mots se dérobaient. Et voici qu’ils s’agencent harmonieusement, secs et ancestraux comme les cailloux de sa campagne natale, dans le désordre et la lumière. L’épure ne met plus à vif, elle met en valeur. Des phrases aussi dépouillées que féeriques s’affichent sans crainte : « Journées lumineuses. Douceur de l’air. Bonheur d’être. » Eût-on imaginé pareille félicité dans ses premiers journaux, noirs, âpres, intransigeants ?

Charles Juliet ne suit d’autre logique que celle des hasards de la vie, il ne construit pas, écoute et regarde ce qui s’offre à lui. Les passants, intenses malgré eux. Les médias, pleins de pistes de réflexion. Les peintres, mus par la même ferveur que lui. Et tant d’êtres en souffrance, croisés au fil de rencontres organisées, qu’il a appris à ne plus fuir, à apprécier, même. Visiteur de prisons, d’écoles, de collèges, de lycées, de colloques, Charles Juliet semble surpris d’avoir surmonté ce doute de soi qui paralyse. Au plaisir de découvrir qu’il fait partie d’une constellation d’êtres humains, traversés par les mêmes questions, à la recherche de la même fluidité intérieure, s’ajoute l’amusement de constater ce qui le sépare des autres.

Car il y a aussi de l’humour dans ses écrits, un humour bienveillant, léger, né de son incommensurable soif de ­vérité. Lorsque Charles Juliet égratigne son prochain, sa désolation de le voir prisonnier de la méconnaissance de soi l’emporte toujours. « Nombre de mes lectures ont été gâchées. Parce que j’étais trop avide. Ce que j’absorbais ne pouvait être assimilé », confesse-t-il le 3 janvier 1998. Ce tome VII des journaux de Charles Juliet (1) se lit avidement, et s’assimile parfaitement. Il maintient juste assez en appétit pour le suivant. — Marine Landrot

 

(1) Le volume VI, Lumières d’automne (1993-1996), est réédité chez P.O.L, coll. #formatpoche.

 

Ed. P.O.L 352 p., 19 €.

Lire aussi Charles Juliet par lui-même Revue Décapage Ed. Flammarion 160 p., 15 €.

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