Annabel

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Annabel

On a tous un roman un peu rare, un peu bizarre, totalement à part, qu’on offre à ceux qui semblent le mériter. Un livre cher qu’on partage avec les personnes dignes de confiance, qui auront interdiction d’exprimer la moindre déception sous peine de vous blesser déraisonnablement. Annabel fait partie de ceux-là. Sitôt ouvert, il vous emplit d’une émotion indéfectible, et vous voilà animé de la même dévotion que son héros, Wayne, qui confesse : « Une fois que j’aime une personne, quoi qu’elle fasse, rien ne m’empêchera de l’aimer. »

Il faut révéler le sujet, même si grande est la crainte qu’il y ait malentendu, fausse donne, irruption d’un cliché trash ou d’associations d’idées voyeuses. « Entre une vérité angoissante et un mensonge rassurant », Wayne choisit la première, aussi doit-on l’écrire noir sur blanc : Annabel raconte l’histoire d’un enfant qui naît doté des deux sexes, dans le Labrador, à la fin des années 1960. Sur quatre-vingt-trois mille naissances, il y a un cas d’hermaphrodisme, et c’est tombé sur Wayne. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit, tant ce roman recèle de richesses et de prodiges.

A commencer par son écriture, poétique et captivante, qui va au cœur des choses, puis balaie les contours avec un grand sens du détail féerique. Chaque mot semble une étoile qui rayonne sur les autres, une fleur ouvre ses mille pétales pour diffuser son parfum unique. Du firmament au plus profond de la terre, du ciel aux racines, Kathleen Winter goûte la beauté de la nature qui enveloppe ses personnages et leur chuchote à l’oreille des secrets indicibles. A la naissance de son fils (puisque c’est au masculin qu’on décide d’accorder la vie de cet ange), le père de Wayne apprend par les arbres qu’il vient d’avoir un garçon-fille : « Quand il mobilise son attention dans le bois, c’est comme si son esprit s’ouvrait au monde, qu’il percevait les choses de tout son être. » La mère, Jacinta, oublie sa douleur en admirant les chardons dans la neige, l’or dans les plumes des étourneaux et les araignées rayées sur le mur de l’église. Quant à Thomasina, l’amie du couple, devenue bonne fée protectrice après la mort de son mari et de sa fille, elle envoie ses ondes à travers des cartes postales des sept merveilles du monde.

Tous ces personnages sont des êtres d’exception, de simples gens remplis de lumière, de belles personnes inconscientes de leur sainteté. C’est le tour de force de Kathleen Winter que d’avoir donné de si belles couleurs à leurs visages qui avaient tout pour être blafards et pathétiques. Jamais elle ne décrit leurs sentiments, ni leurs fragilités, ni leurs espoirs, et pourtant leurs vibrations les plus intimes ne cessent d’affleurer à chaque page. Terriblement attachants, ils avancent au présent, humbles, entiers, absolus. Le chiffre 2 les obsède, au point qu’ils cherchent à fusionner avec tout ce qui les entoure — chouettes, falaises, lacs, bouleaux, nuages de poussière —, au point « de vouloir entrer dans la peau » de ceux qu’ils aiment. Monstre silencieux d’une douceur infinie, Wayne communie avec lui-même. S’il aimante et fascine autant, c’est qu’il guette son alter ego à l’intérieur de lui, au lieu de courir après une moitié inatteignable. Modèle d’équilibre et de plénitude, Wayne est un puzzle achevé, un poumon rempli d’air. Un être accompli qui diffuse une énergie surnaturelle à longue portée.

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