Amour de pierre

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Amour de pierre

Qu’est-ce donc que cet « amour de pierre » qui sert de titre au bouleversant roman autobiographique de la Polonaise Grazyna Jagielska ? Un amour fou qui vous entraîne par le fond, vous brise et vous noie, vous met aux portes de la mort ou de la folie. C’est précisément ce qui arrive à l’auteur, traductrice de son état et épouse d’un brillant correspondant de guerre polonais — l’authentique Wojciech Jagielski — qui, près de vingt ans durant, parcourut les pires zones de conflit. Soit cinquante-trois voyages depuis le début des années 1990, d’Afghanistan en Tchétchénie, via le Sri Lanka.

De quoi faire sombrer dans la terreur de sa disparition, puis peu à peu dans l’explosion de soi, l’anéantissement de soi la mère de ses deux fils, restée à Varsovie. Celle qui aimait tant à voyager jeune femme avec l’homme de sa vie essaya bel et bien de l’accompagner, pour comprendre ce qui faisait de la guerre cette drogue dont il ne pouvait plus se passer. Elle s’était même formée à la photographie pour lui être utile. Mais il lui expliqua que l’avoir à ses côtés, s’inquiéter pour elle l’empêchait de prendre les risques nécessaires au métier. Ce dont ce témoin forcené de toutes les révolutions avait besoin pour tenir, c’était plutôt de rêver à la sécurité de la maison familiale à Varsovie, à l’épouse en train de l’y attendre. N’est pas Pénélope qui veut. Grazyna Jagielska a développé peu à peu un traumatisme de guerre qui n’atteint d’ordinaire que les « vrais » combattants. Elle s’est retrouvée en asile psychiatrique, essayant de renouer les fils de son existence grâce à l’écoute d’un autre cabossé de la vie…

Par-delà la splendide et tragique histoire d’amour-fusion, cette confession-poème trouée et déconstruite comme le sont les souvenirs qui tuent à petit feu, les obsessions qui laminent, les peurs qui usent, est aussi une étonnante réflexion sur les reporters de guerre, leur cruauté à s’emparer des souffrances des victimes pour en faire de beaux récits, puis à les abandonner à leur destin : « On en vient à croire que la douleur humaine ne dure qu’un court instant, qu’elle s’achève une fois décrite. On la raconte et on passe son chemin, à la recherche d’une autre victime de souffrances, qu’on décrira encore mieux », écrit Grazyna Jagielska. Pour sortir sa femme de ses abîmes, Wojciech Jagielski a renoncé à ses démons journalistiques. Elle ne sait pas s’il le regrette… — Fabienne Pascaud

 

Milosc z kamienia, Zycie z korespondentem wojennym, traduit du polonais par Anna Smolar Ed. des Equateurs 234 p., 20 €.

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