À l’orée du verger

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À l’orée du verger

Elle aime les siècles sans guerre ni apocalypse, les siècles de simples et fertiles découvertes, qui filent généreusement vers un avenir plein de promesses. La romancière américaine Tracy Chevalier, 53 ans, ravaude à merveille les destins passés qui se terminent bien. Ceux d’anonymes et de modestes, d’obscurs et de sans-grade, mais que porte toujours, malgré tout, une farouche force intérieure. Et elle nous les décrit comme elle le ferait d’un de ces « quilts » qui hantent ses romans : ces patchworks anglais qui servent à tout — nappe, couverture, châle, dessus-de-lit — et qu’elle détaille avec amour des tissus et des fils, des matières et des couleurs.

C’est peut-être ça qui fait le charme des récits de Tracy Chevalier, en phrases sensuelles et claires : l’attention amoureuse aux choses et aux objets ordinaires, qui depuis des lustres construisent notre quotidien. Qu’ils deviennent toiles et tableaux sous l’oeil d’une Jeune Fille à la perle (1999), la très belle servante de Vermeer qui lui servit de modèle et dont elle réinventa l’existence. Ou qu’ils se chargent d’odeurs et de sons sous les gestes de La Dernière Fugitive (2013), cette jeune quaker en fuite en Amérique dans les années 1850. C’est au début du xixe siècle, toujours dans l’Amérique des pionniers mais au fond de l’Ohio, que se déroule A l’orée du verger. James et Sadie Goodenough ont débarqué là pour acquérir la terre en y plantant des pommiers. Le climat est détestable, la misère l’emporte, les dix enfants Goodenough meurent les uns après les autres, tandis que leur mère se console et se venge dans l’al­cool et que leur père se noie dans l’obsession de ses reinettes dorées. Le couple bascule dans la tragédie. Robert, un jeune fils, en réchappe, s’enfuit en Californie, y exerce tous les ­métiers avant que la folie des arbres ne l’attrape à son tour ; et avant que le retrouve sa soeur préférée, Martha, victime de tous les vices familiaux…

Personnages historiques, authentiques, constructions chahutées, monologues intérieurs : la romancière mêle réalité et fiction, roman et théâtre, passé et présent dans un récit tourmenté et bruissant de nature, où se bâtit aussi l’Amérique. Elle a du souffle et du style, le sens de l’épique comme du minuscule. Ses personnages parlent peu, confient peu, avouent peu. Mais dans leurs silences — résignés, révoltés ? — superbement se lisent désespoirs et passions. — Fabienne Pascaud

 

At the edge of the orchard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anouk Neuhoff. Ed. Quai Voltaire, 336 p., 22,50 €.

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