14 juillet

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14 juillet

Au fond, il n’y a pas de petites gens. Et s’il y en a, ils sont capables de choses inouïes. Chaque nouveau récit d’Eric Vuillard nous le rappelle. L’auteur nous a appris, avec Congo (2012), La Bataille d’Occident (2012) ou Tristesse de la terre (2014), à regarder autrement ces héros malgré eux, ces hommes ou femmes qui font l’Histoire avant d’être dévorés par elle, jusqu’à l’oubli. Avec 14 juillet, il ne trahit pas cet engagement. Cette prise de la Bastille, la République l’a érigée en mythe, mais où sont passées la chair, la poussière sous les semelles, la peur au ventre de celles et ceux qui l’ont faite ? Reprenons l’assaut depuis le début. En partant des jardins de Versailles, parmi les gueuses et les gueux qui, sans y croire peut-être, sans le savoir sûrement, allaient faire basculer le destin du pays — et de l’humanité. Michelet ou Lavisse nous ont laissé les portraits des « grands » hommes ? Vuillard donne un nom aux petits. Comment s’appelaient-ils, d’ailleurs ? « Ce jour-là, à la Bastille, il y a Adam, né en Côte-d’Or, il y a Aumassip, marchand de bestiaux, né à Saint-Front-de-Périgueux, il y a Béchamp, cordonnier, Bersin, ouvrier du tabac, Bertheliez, journalier, venu du Jura, Bezou, dont on ne sait rien, Bizot, charpentier, Mammès Blanchot, dont on ne sait rien non plus, à part ce joli nom qu’il a et qui semble un mélange d’Egypte et de purin. » Des riens du tout, des invisibles, des intouchables, des « pauvres filles venues de Sologne et de Picardie, […] mordues par la misère et parties en malle-poste, avec un simple ballot de frusques. Nul n’a jamais retracé leur itinéraire de Craponne à Paris […]. Nul n’a jamais écrit leur fable amère. »

14 juillet leur rend justice. Et nous fait bondir de 1789 à 2016, d’une incise l’autre, de cette petite voix discrète qui, à intervalles réguliers, vient nous dire : « Hier, c’est aujourd’hui ! », et qui est aussi la signature de Vuillard. Car ces individus sans droits, qui ont ébranlé un régime archaïque et donné un nouveau « sens » à l’Histoire, nous parlent. Ils auraient pu se briser les poings sur la pierre de la Bastille, ils nous laissent la liberté et l’égalité en héritage. Et l’idée que ce qui a été fait une fois… Comme d’habitude, Eric Vuillard n’entre pas par effraction dans l’esprit de ses « héros ». Il ne leur invente pas des motivations, ne leur dresse pas de stèle. Il raconte simplement, avec un talent fou, les hésitations, mais aussi la trouille, la générosité et le grain de folie de ces « ci-devant » du 14 juillet — ses soeurs et ses frères, et finalement les nôtres aussi. — Olivier Pascal-Moussellard

 

Ed. Actes Sud, 208 p., 19 €.

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