Tempête

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Tempête

Sans doute parce que les éditeurs rechignent à publier ce format hybride, peu d’écrivains contemporains s’attellent au genre de la novella, entre le roman et la nouvelle. Est-ce son admiration pour Hemingway, grand amateur de novellas, qui a poussé J.M.G. Le Clézio à composer ce diptyque d’ombre et de lumière, ce livre planète coupé en deux, enfoui dans les ténèbres d’un côté, dévoré par les feux de l’autre ? Les deux novellas de Tempête sont bien les deux faces d’une même médaille miraculeuse, enroulée autour du cou d’enfants visionnaires, illégitimes, éperdues d’amour. Des filles, comme souvent dans l’oeuvre de Le Clézio, graciles adolescentes avançant vers leur vie de femmes chargées de lourds traumas d’enfance.

Japonaise dans son décor comme dans l’imaginaire qu’elle charrie, la première novella, qui donne son titre au recueil, rappelle les images du tsunami du 11 mars 2011. La mer, vorace et impétueuse, noire et poisseuse, fait régner une sourde terreur. Liquide ­amniotique surdimensionné, l’élément entretient avec les femmes une relation dangereuse, faussement complice, faussement consolatrice. Des plongeuses de fortune s’y aventurent pour lui arracher les coquillages qu’elles vendront aux touristes, des mères hagardes y repêchent le cadavre de leur enfant rongé par les crabes, et parfois des femmes suicidaires lui confient leur corps à jamais.

C’est ce qui est arrivé à la compagne de Philip Kyo, écrivain de retour sur le rivage, des années après cette funeste disparition. Une fillette le rejoint tous les jours, pour lui tendre un miroir innocent, et le délivrer de ses tourments. Mouvante et filandreuse comme des algues dans les fonds marins, sa mémoire n’a qu’un point d’ancrage : le viol auquel il a assisté sans parler, pendant la guerre. J.M.G. Le Clézio n’a mis que des teintes sombres sur sa palette d’écrivain – sombres, mais étincelantes. Comme des gouttes qui forment un océan, les mots nuit, vent, tempête se répètent sans cesse, et drainent avec eux d’autres mots venus d’ailleurs, corps étrangers jetés à la mer, qui s’y agrègent et s’y décomposent pour lui donner sa force et sa couleur.

L’autre novella, Une femme sans identité, s’éloigne du mythe et de la cosmogonie pour s’ancrer dans la réalité bétonnée de la banlieue parisienne, où deux demi-soeurs venues d’Afrique découvrent la brutalité de l’exil. Cette fois, les corps ne sont pas engloutis, ils se cognent et se blessent sur le pavé. La langue de Le Clézio se fait alors plus dure, plus cassante. Mais l’écrivain voyageur a toujours quelques embruns de côté, une réserve d’ailleurs qu’il offre en secours aux personnages affligés. Quelques gravillons sous la semelle d’une jeune fille dans un camp d’étrangers qu’on s’apprête à expulser, et un bruit de sable au bord de la mer fait tout oublier.

Et chez Le Clézio, l’oubli n’est jamais un espace vide.

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