Les Mandible

Ajouter un commentaire

Les Mandible

Si elle n’avait pas été écrivaine, Lionel Shriver aurait-elle été chirurgienne ? Ce n’est pas avec un stylo, c’est avec un scalpel qu’elle ausculte et fouille les blessures du rêve américain : la violence des enfants dans Il faut qu’on parle de Kevin (2003), la sécurité sociale impuissante dans Tout ça pour quoi (2010), l’obésité dans Big Brother (2014)… Les Mandible. Une famille, 2029-2047 nous plonge dans un proche avenir : en 2029, le président des Etats-Unis, premier Latino-Américain à ce poste, décide de dénoncer la dette américaine. Le dollar part en chute libre et le pays est déclaré en faillite. Pénuries, pillages, effondrement du système de santé : les Américains se découvrent citoyens du tiers-monde. Chez les Mandible, famille parfaitement intégrée (père riche industriel, tante romancière à succès, enfants professeurs d’université ou pyschothérapeutes…), personne n’est épargné. Et c’est Florence, la belle-fille qui a pu garder un modeste salaire d’assistante sociale, qui doit accueillir chez elle sa parentèle ruinée…

Beaucoup de lecteurs — dont l’auteur de ces lignes — se sentiront parfaitement incapables de juger de la vraisemblance du scénario proposé ici et expliqué au cours de (trop) longues discussions économiques. Pourtant, il est difficile de ne pas être glacé par le récit qui se met en place peu à peu. Lionel Shriver (née en 1957) fait partie de ces écrivains (avec Joanna Trollope, Anne Tyler…) qui se font un style de ne pas en avoir et préfèrent la vérité d’une expression à la beauté d’une phrase. Cette apparente neutralité cache une justesse d’analyse remarquable. Le roman déroule ainsi une suite de saynètes et de dialogues implacables, dénués tant d’apitoiement que de mélo. Tous les personnages sonnent juste, et on assiste à leurs empoignades en voyeur fasciné. Cette lente désagrégation des rapports humains, ce glissement vers l’abîme d’un pays auquel le confort est retiré font froid dans le dos. La dystopie, genre littéraire à la mode, a rarement été à la fois aussi lucide et aussi proche. — Hubert Prolongeau

 

The Mandibles. A family, 2029-2047, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Richard, éd. Belfond, 520 p., 22,50 €.

Commandez le livre Les Mandible

Laisser une réponse