Examens d’empathie

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Examens d’empathie

Le titre du recueil, admettons-le, est rien moins qu’enjôleur : Examens d’empathie, mais encore… C’est aussi le titre du premier des onze essais que rassemble cet ouvrage de l’Américaine Leslie Jamison (née en 1983). Et il n’est besoin d’en lire que quelques phrases pour que s’évanouisse la perplexité initiale, balayée par le mélange de perspicacité, de vivacité, d’exigence et d’éloquence qui caractérise la belle ­intelligence et la plume de la jeune ­auteure — et qu’exhalent les pages de son fortifiant opus.

Dans Examens d’empathie, Leslie Jamison commence donc par raconter son expérience de « patient acteur », payée 13,50 $ de l’heure pour simuler des maladies devant des étudiants en médecine qui doivent les identifier — elle a ses spécialités : « Je maîtrise les symptômes de la pré-éclampsie, de l’asthme, de l’appendicite. Je joue une mère dont le bébé a les lèvres bleues… » Les attitudes contrastées des étudiants (froideur, feinte compassion, gêne…) face au « cas » médical qu’elle incarne font poindre l’amorce d’une réflexion sur la notion d’empathie : non pas une identification de surface à la souffrance de l’autre, mais véritablement un acte d’imagination, « une ­pénétration, une sorte de voyage. Cela suggère que l’on s’introduise dans la douleur d’autrui comme on entrerait dans un pays étranger, franchissant frontière, services d’immigration et autres douanes… » Le raisonnement de Jamison est bientôt alimenté par le récit d’expériences médicales personnelles (un avortement, une opération du coeur), et peu à peu se met en place une sorte de méthode d’investigation qui associe étroitement pragmatisme du vécu et spéculation.

Cette implication de l’auteure incite à associer ses textes au nouveau journalisme — on la voit voyager au Nicaragua, au Mexique, s’intéresser aux marathoniens, à la vie carcérale, aux gangs de Los Angeles. Mais ils relèvent tout autant de l’autobiographie — notamment à travers des moments où elle affronte des blessures physiques — et de la critique littéraire — quand elle commente notamment Madame Bovary, s’interroge sur la forme du conte, ou confie toute l’admiration qu’elle voue à James Agee et à son chef-d’oeuvre Louons maintenant les grands hommes. Le plus remarquable étant que Leslie Jamison, que la presse anglo-saxonne compare volontiers à Susan Sontag, entremêle à chaque instant toutes ces approches pour nourrir une réflexion morale dont le corps souffrant est le centre et dont l’empathie (avec elle, quelques autres notions, comme la sentimentalité) est tout ensemble le fil d’Ariane et le principe actif. Non pas une vertu, mais une quête : « L’empathie n’est pas seulement quelque chose qui nous arrive — une pluie d’étoiles filantes traversant les synapses du cerveau —, c’est aussi un choix de notre part : faire attention, élargir le champ de notre être. Cela relève de l’effort, ce cousin démodé de l’impulsion […] :  »J’écouterai sa tristesse, même si je suis affligée par la mienne ». » — Nathalie Crom

 

The Empathy Exams, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, éd. Pauvert, 336 p., 22 € (en librairies le 31 août).

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