Cinquante Ans d’élégances et d’art de vivre

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Cinquante Ans d’élégances et d’art de vivre

On connaît son oeil mais, à ce jour, on ignorait plus ou moins sa plume — en France, car en Grande-Bretagne, ses journaux ont été publiés dans les années 1970 et font figure de documents indispensables à la connaissance intime de ce XXe siècle artistique et mondain dont il a été tout ensemble l’acteur et le chroniqueur singulièrement perspicace. Pour écrire, au mitan des années 1950, Cinquante Ans d’élégances et d’art de vivre — titre français un peu long, un peu plat, d’un récit qui est tout le contraire —, le photographe britannique Cecil Beaton (1904-1980) a rassemblé ses souvenirs accumulés durant un demi-siècle et les a passés au tamis, afin d’y faire le tri. De laisser surgir et conserver les seules silhouettes de celles et ceux au contact de qui il a saisi quelque chose de l’essence et l’importance « des arts mineurs de l’élégance », de la noblesse de la frivolité, de la gravité secrète qui préside au culte de l’éphémère et de la futilité. Artistes, créateurs, aristocrates, mondains… Femmes et hommes à la sensibilité assez forte et assurée pour, non pas suivre la mode, mais la dicter — tout en s’en tenant ­parfois superbement en marge, telle Garbo, la divine —, et dont les subtiles évocations accolées tracent ici une passionnante histoire du goût au cours du premier XXe siècle.

Né à l’aube de cette ère que son ouvrage circonscrit, lors de la brève transition entre « la bourgeoise sécurité victorienne et le modernisme fébrile qui devait suivre » que constitue la période édouardienne (1901-1910), Cecil Beaton s’est initié aux mille et une finesses de l’art de vivre et de la mode au spectacle ravissant de sa mère, se coiffant interminablement devant son miroir ou redécorant dans le style Art nouveau leur maison de Londres, et plus encore à celui de sa merveilleuse tante Jessie, créature « grandiose, fastueuse et amusante », à elle seule un véritable tourbillon d’étoffes, de rubans, de perles, d’aigrettes, de plumes d’autruche et de parfums…

« Je ne me doutais pas alors que tante Jessie ne représentait pas exactement le goût le plus fin ; aussi, quand je le découvris plus tard, je n’y attachai aucune importance […]. Que son goût fût bon ou mauvais, celui qu’elle avait pour la vie était en tout cas toujours impeccable », écrit tendrement Cecil Beaton, avant de poursuivre son chemin. De traverser prestement l’avant-guerre en compagnie notamment de Diaghilev, Paul Poiret et Cécile Sorel, pour s’attarder bientôt dans les décennies 1920-1940, avec Picasso et Bony de Castellane, Rita Lydig et Chanel, avec Daisy Fellowes, Cristóbal Balenciaga, lady Cunard, ­Eugenia Errázuriz, Charles de Beistegui, Louise de Vilmorin… et autres figures marquantes de la Café Society dont Cecil Beaton fut, en quelque sorte, le portraitiste officiel.

Dans Cinquante Ans d’élégances…, joliment illustré par ses croquis, on admire la précision de ses descriptions écrites, la justesse de ses profils, la perspicacité avec laquelle il capte et analyse des détails hautement éloquents — une modification de la ligne du sourcil ou de la forme des mains des femmes décryptée comme le symptôme d’une révolution des mentalités… On est saisi plus encore par la fermeté avec laquelle Beaton tient le fil de sa narration, qui n’est pas une simple juxtaposition de rencontres, mais la déclinaison d’une réflexion sur le XXe siècle et la modernité, la rémanence de l’individualité face à l’essor de l’uniformité, au « conformisme mécanique des temps présents ». Cecil Beaton observe ce mouvement, l’admet non sans mélancolie, mais sans amertume. — Nathalie Crom

 

The Glass of fashion, traduit de l’anglais par Denise Bourdet, préfaces de Christian Dior et Violet Trefusis, éd. Séguier, 352 p., 22 €.

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