Ce que nous avons perdu dans le feu

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Ce que nous avons perdu dans le feu

Une pincée de vieux romans gothiques anglais, rehaussée d’atmosphères à la Poe, de fantômes dignes de Henry James et de serial killers sanglants façon Stephen King, le tout enrobé de l’inévitable réalisme magique de ses aînés sud-américains… Les douze nouvelles de l’Argentine Mariana Enriquez, 44 ans, ne manquent ni de torves clins d’oeil, ni de piquant. Mais restent profondément originales dans leur macabre si quotidien, leur épouvante si naturelle, ancrée avec humour dans une écriture diaboliquement efficace et souvent à la première personne. Le bizarre y épouse l’effroi dans des noces glauques, dont on sort hoquetant de terreur mais happé par une infernale curiosité. Ici, les adolescentes anorexiques s’amourachent de têtes de mort, se fondent mystérieusement dans les maisons hantées, s’arrachent les ongles et les cheveux, et peuvent massacrer avec gaieté. Ici, les enfants sont d’atroces assassins ou les martyrs de rites sataniques ; les prêtres se droguent et se suicident de désespoir ; les rivières polluées cachent d’horribles cadavres mutilés. Et les femmes se font à moitié brûler vives pour mieux crier leur haine, une fois devenues des monstres, aux machos apeurés.

La très féministe Mariana Enriquez mêle avec un extravagant talent de conteuse le fantastique et le réalisme le plus sordide. Ses contes cruels baignent dans le souvenir de la dictature argentine (1976-1983), de ses disparus qui hantent encore l’imaginaire populaire. Mais les horreurs de la crise économique, de la pauvreté, de l’exclusion nourrissent l’écriture, aussi. Avec une légèreté, une rapidité, une insouciance hypnotiques. On reste hanté par ces cauchemars quasi quotidiens, ces fantasmes effroyables dont on ne sait jamais vraiment où ils conduisent, mais dont on sent confusément qu’ils sont à l’image — horriblement fascinante — de nos enfers d’aujourd’hui. Mariana Enriquez, conteuse sorcière, est aussi journaliste… — Fabienne Pascaud

 

Las Cosas que perdimos en el fuoco, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet. Ed. du Sous-sol, 238 p., 19 €.

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