Vingt minutes de silence

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Vingt minutes de silence

Retenez ce mot de passe : LNB7A9, Hélène Bessette à neuf. Il vous donnera l’accès à un cercle, encore trop confidentiel, de fervents admirateurs d’une institutrice reconvertie en femme de ménage, disparue en 2000 dans le dénuement le plus honteux, au bord de la démence, après avoir écrit treize romans majeurs, entre 1953 et 1973. De ces textes qui tombent toujours à pic quand on les ouvre, susceptibles de changer une vie, que ce soit celle de Marguerite Duras (« qui lui a tout piqué », osera son biographe Julien Doussinault), de Nathalie Sarraute, de Michel Leiris, la vôtre, la mienne. Depuis quelques années, les rééditions de ces chefs-d’oeuvre oubliés s’offrent en partage, grâce à l’initiative passionnée de l’éditrice Laure Limongi. Chaque fois sur la couverture, une même photo en noir et blanc, où Hélène Bessette, en chignon et tailleur stricts, jette un regard en coin vers le bas, l’oeil à la fois fuyant et fixe, la bouche aussi résignée que décidée. S’affiche et se dérobe une femme consciente de faire partie d’un monde à part, mais ancrée dans le sol et pleine d’énergie motrice. Sa ressemblance avec l’actrice Emma Thompson suscite même un espoir un peu fou : qu’un(e) cinéaste s’empare de ce destin hors normes, comme Martin Provost le fit avec Violette Leduc, incarnée par Emmanuelle Devos.

Visuellement, les écrits mêmes d’Hélène Bessette en jettent. Pleins de retours à la ligne, de colonnes de mots, d’incises en majuscules, ses « romans poétiques » (comme elle tenait à les appeler) dessinent des influx nerveux, des courants d’inquiétude, des éclairs de joie, des estafilades d’intelligence, des multiplications de minutes, des gouttes tombées de gouttières. Le livre qui arrive aujourd’hui nous exhorte à Vingt Minutes de silence, pas de trop pour honorer la mémoire de cette écorchée vive, et se préparer à plonger dans son gouffre linguistique. Il s’ouvre sur un hymne à la rétention des larmes : « Tu ne vas pas pleurer pour rien. Dans la rue. Dans les autres. Quand tu es dans les autres. Et que le jour baisse et que l’année baisse et que ce mois d’octobre échoue contre novembre dans une odeur de brouillard et de lumière clignotante. »

L’encrier d’Hélène Bessette débor-de de considérations pareilles, qui appellent le par-coeur pour servir de bouée de sauvetage le jour où. Car secourir est sa mission. Même quand elle s’essaie au roman policier, comme ici, elle donne sa chance à chacun, persuadée que personne ne détient jamais la vérité, sauf dans l’instantané des mots prononcés. Hélène Bessette écrit du bout de ses ailes d’ange gardienne, la plume posée sur l’épaule de son héros, un garçon de 15 ans qui a tué son père parce qu’il ne voulait plus de cette haine reçue depuis son premier souffle. Elle plaide le droit du garçon à choisir de passer le restant de son existence sans aimer, car « le calme et la tranquillité des vies sans amour sont un bonheur dont la lumière tempérée, dont l’éclat modéré, dont le demi-sourire, dont l’intimité bienveillante, dont le décor sans recherche vaut bien de remplacer l’usure, la dépense haineuse, la passion exacerbée des rancunes accumulées d’un amour légitime dont le dessein s’est brisé ». Hélène Bessette peut lui faire prendre ce risque de l’atrophie apparente des sentiments, puisque son écriture est un coeur qui bat à grand fracas pour deux, pour dix, pour cent. — Marine Landrot

 

Ed. Le Nouvel Attila, 176 p., 17 €.

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