« C’est en allant au quai aux Fleurs Commander des jardinières, de la terre de bruyère, du terreau et les impatiences promises que Jenny me raconte la suite de l’année 42. » Les deux femmes vont de concert, l’auteur met ses pas dans ceux de son modèle dont elle trace le portrait et le destin, leurs voix se répondent, se croisent puis se mêlent, le « je » de Jenny surgissant sans guillemets dans le texte, à la frontière émouvante entre roman et récit. Geneviève Brisac donne le jour à Jenny, sa voisine rencontrée à l’occasion d’un déménagement. « Eugénie, dite Jenny, dite Nini », qui dit « je ne suis personne, pourquoi parler de moi, et pourtant nous parlons d’elle. De la rafle du Vel’ d’Hiv’, à laquelle elle a échappé, c’était le 16 juillet 1942 ». Geneviève Brisac écoute la parole de Jenny, l’histoire de ses parents, émigrés juifs polonais, arrivés à Paris dans les années 1920, déportés, jamais revenus, puis ses années de survie dans la capitale occupée, l’engagement politique à gauche, les crimes du stalinisme, la guerre d’Algérie, Mai 68. Geneviève Brisac écoute, questionne, accompagne, « réinvente le plus loyalement possible la vie de Jenny », confronte leurs passions littéraires, interroge sa propre existence, le deuil de ses parents, ses engagements. Les voix se fondent, les « je » parfois ne font plus qu’un. On passe d’un temps à l’autre, d’un lieu à l’autre, le texte est tissé serré, d’une extrême économie, d’une formidable intensité. Vie de ma voisine s’inscrit ainsi au coeur de l’oeuvre de Geneviève Brisac qui évoquait, dans Moi, j’attends de voir passer un pingouin, « la lutte épuisante contre l’effacement de tout ». Ecrire contre l’anéantissement, et ne jamais renoncer à ses convictions, ni à ses idéaux. A l’instar du père de Jenny qui, dans le train qui le conduisait vers la mort, a écrit ce message à ses enfants : « Vivez et espérez. » — Michel Abescat
Ed. Grasset, 180 p., 14,50 €.
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