Vers la nuit

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Vers la nuit

Devenir aveugle, ce n’est pas juste ne plus rien voir, c’est être au monde d’une manière radicalement différente : John Hull (1935-2015), théologien australien, l’a expérimenté et consigné avec soin quand le noir l’a définitivement englouti — il avait déjà perdu un oeil —, à l’aube des années 1980. Ses remarques enregistrées au magnétophone forment le récit précis de son quotidien transformé : rapport avec les voyants, qui ont rarement la bonne attitude, apprentissage par les jeunes enfants (qui s’en sortent mieux) de la cécité de leur père, etc. Les autres ne sont plus les mêmes, puisque leur identification ne passe plus par leur visage mais par leur nom, éventuellement leur voix. Les plus belles pages, peut-être parce qu’elles sont les plus rassurantes, sont celles qui disent une forme de sérénité quand le bruit du monde fait que le monde réapparaît enfin, au moins mentalement : en tombant sur l’herbe ou sur le pavé, la pluie dessine une topographie du voisinage, tandis que le métro londonien et la foule qui l’habite bâtissent un univers clos et apaisant.

Souvent fascinantes, parfois répétitives, ces bribes forment une réflexion singulière sur la perception. On regrette que le sage empirisme anglo-saxon ne cède jamais à la rage de l’injustice, que n’éclate jamais la colère contre un sort contraire… Déjà publié il y a vingt ans, ce texte a fourni la matière d’un documentaire, Notes on blindness, diffusé à l’automne dernier sur Arte. — Aurélien Ferenczi

 

Touching the rock, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Donatella Saulnier et Paule Vincent, préface d’Oliver Sacks, éd. du Sous-sol, 224 p., 19 €.

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