Une vie de Gérard en Occident

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Une vie de Gérard en Occident

Sa vie parle pour beaucoup d’autres, elle défile tout au long du livre comme une armée avec une seule tête, une foule au singulier pluriel. L’article indéfini, qui ouvre le titre, annonce d’emblée la couleur : Une vie de Gérard en Occident. Un destin générique, celui d’un homme au prénom banal, un poil désuet, une voix comme la somme de dizaines d’autres, de celles qu’on n’entend jamais. Les « vraies gens », comme disent certains avec une condescendance qui confine au mépris de classe, prennent la parole à travers Gérard. Et Dieu sait s’il parle, Gérard, il se raconte, se souvient, s’abandonne, Gérard, il s’épanche, et c’est tout le village de Saint-Jean-des-Oies, en Vendée, qui vient avec lui, ses parents et leur hôtel-bar-resto-PMU, Dédé, le frère aîné, le seul à avoir décroché le bac, Annie, sa femme, Asil, le Turc de l’abattoir, importateur de boyaux de mouton, Alain, le pro du camping. A l’heure de l’apéro, il se confie à Aman, un réfugié érythréen qu’il héberge pour quelques semaines. Et qu’importe qu’Aman, mutique, ne comprenne pas grand-chose à son soliloque, Gérard déroule ses trente-deux contrats de travail et sa vie, celles de ses proches, abonnés aux mêmes galères et aux mêmes bonheurs, jusqu’à l’épuisement, comme si la bonde, soudain, était lâchée.

Le roman s’organise ainsi en courts chapitres, éclats, portraits, anecdotes, comme autant de miniatures toutes ponctuées d’une chute, le plus souvent douce-amère, l’ensemble sous la forme d’un « Menu ouvrier », d’« Amuse-gueule » à « Cigares » et « Gnôles ». Au bout du compte, il n’est pas mécontent de sa vie, Gérard, qui se définit comme « l’anti-Brel », celui qui n’a jamais rêvé de partir sur une île. « Je ne pense pas que les gens soient bien différents d’un côté ou de l’autre du monde, en Erythrée chez toi ou ici dans le bocage. Sur terre on est les mêmes, ils changent juste le décor », dit cette voix colorée, rabelaisienne, chahutée, drôle et sensible. Cette voix à laquelle François Beaune prête tout son talent après en avoir recueilli des dizaines. On l’écoute, et on l’entend encore, cette voix qui vous réjouit autant qu’elle vous noue l’estomac : « C’est peut-être ça, le bonheur, de pas avoir d’envies d’ailleurs. Tu trouves pas ? » — Michel Abescat

 

Ed. Verticales, 286 p., 19,50 €.

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