The Whites

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The Whites

C'est un roman en noir et blanc. Une série d'instantanés taillés dans le vif des rues de Manhattan, entre 1 heure et 8 heures du matin. Urgences hospitalières. Sorties de bars et de boîtes. Braquages. Règlements de compte. Pétages de plomb. Misère. Solitude. Le quotidien harassé d'une brigade de nuit du NYPD emmenée par un vétéran de la police, Billy Graves, visage de craie d'insomniaque chronique, « regard de Cellophane écrasée ». Chroniqueur inlassable de l'Amérique urbaine, Richard Price ne cherche pas à distraire, même si ses neuf romans peuvent être classés à la rubrique « policiers ». Il témoigne, il ausculte, il dissèque. Il arpente les rues, y retourne, y revient, traîne dans les quartiers, flirte avec les flics et rapporte ce qu'il a vu, comme tout bon journaliste qu'il fut. Le crime l'intéresse comme révélateur d'une société. La morgue, le com­missariat ou les urgences comme points de vue imprenables sur la ville. L'intrigue, colonne vertébrale du récit, emporte ainsi le lecteur, mais le propos est ailleurs.

Depuis l'origine, la rue est le terrain de jeu de ce descendant d'immigrés juifs d'Europe de l'Est, né et ayant grandi dans une cité HLM du Bronx, et qui publie, en 1974, à 24 ans, son premier roman, Les Seigneurs, un hommage revendiqué à Hubert Selby Jr, chronique violente et chaotique d'une bande d'adolescents italo-américains en rivalité avec d'autres, noires ou irlandaises. Richard Price ne quittera plus ce territoire, arpenté à ras d'homme et de bitume, se colletant à son sujet avec une énergie presque physique et un sens aigu du dialogue juste qui fera aussi sa réputation de scénariste. La rue comme une zone de combats où chacun lutte pour sa ­survie éclatera dans Clockers (1992), fas­cinante plongée dans le dépotoir des gagne-petit de la dope. Elle sera adaptée au cinéma par Spike Lee et inspirera David Simon pour sa fameuse série télévisée The Wire (Sur écoute en version française), dont Price, avec Dennis Lehane et George Pelecanos, est un des scénaristes les plus fameux. Ville noire, ville blanche (1998), brûlé par les tensions interraciales ; Le Samaritain (2003), où l'auteur se met en scène sous les traits d'un scénariste revenant des années plus tard sur les lieux de son enfance ; Souvenez-vous de moi (2008), qui dépeint les changements extraordinaires du Lower East Side en vingt-cinq ans : les romans de Price constituent, au bout du compte, une formidable histoire de New York, de ses fantômes et de ses métamorphoses.

La rue est encore une fois le territoire électrique de ce nouvel opus, parcourue chaque nuit toutes sirènes hurlantes par Billy Graves et son équipe, en prise et aux prises avec elle, d'une rixe d'ados au cadavre d'une junkie, « allongée par terre sur le dos, comme une étoile de mer ». La rue, Richard Price en brosse le portrait intime, s'approche au plus près, en fait sentir les moiteurs et les humeurs, la rage épuisée, la violence éreintée et désespérante. Avec l'évidente volonté d'arracher les lieux et les victimes à l'oubli, de les nommer, de témoigner de leur existence. L'énumération sans fin des drames qui défilent chaque nuit dans la banalité quotidienne du travail de la brigade de nuit devient ainsi li­tanie des morts, hommage muet, tombeau littéraire.

Au côté des flics qu'il met en scène, Richard Price déroule leur histoire. Billy Graves, 42 ans, a fait partie, vingt ans plus tôt, d'une patrouille d'élite opérant dans l'un des pires districts de l'East Bronx. Rapidement promus, ses membres se sont ensuite dispersés mais continuent de se voir, unis par les souvenirs ; témoins les uns des autres, de leur fatigue, de leurs désillusions, de leurs compromissions ; chacun d'entre eux obsédé par une affaire qu'il n'a pas réussi à mener à terme, un criminel qu'il n'est pas parvenu à ­coincer, malgré les nuits usées sur leurs dossiers. Entre eux, ils les appellent les « whites ». Des baleines blanches qu'ils n'ont jamais cessé de poursuivre, tel le capitaine Achab. Jusqu'à se noyer avec elles. Et voilà que les whites sont assassinés les uns après les autres… tandis qu'un homme, lui aussi hanté par une vieille affaire, se met à surveiller la femme et les enfants de Billy. Richard Price noue brillamment son intrigue sur ce double fil, tient son lecteur en haleine, sans que rien, au bout du compte, ne soit résolu. Empathique témoin de l'intranquillité de ses personnages, il montre, avec une singulière humanité de regard, comment la rue peu à peu les rattrape, les enveloppe et les enténèbre. Et finit par conclure, alors que les fantômes ont envahi tout l'espace, sur ces mots à l'ironie tragique : « C'est quand même une fin plutôt heureuse. »

FESTIVAL QUAIS DU POLAR
Richard Price sera l'invité du 12e festival Quais du polar à Lyon, les 1er, 2 et 3 avril. Et en bonne compagnie, puisque David Peace, Arnaldur Indridason, Caryl Férey, Giancarlo de Cataldo, Hervé Le Corre, Jo Nesbø, Irvine Welsh (et beaucoup d'autres) seront également présents. Eclectique, ouvert, chaleureux, passionné, Quais du polar figure désormais parmi les grandes manifestations internationales du genre par la qualité de sa programmation et la foule qu'il réunit chaque année (70 000 personnes).
Partenaire du festival, Télérama y dépêchera quelques-uns de ses journalistes. Michel Abescat et Christine Ferniot y animeront plusieurs rencontres et Hélène Marzolf participera au jury du prix Polars en série, le festival réservant une place importante au cinéma et à la télévision.
Tous les renseignements, sur le site du festival.

 

 

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