Soudain, j’ai entendu la voix de l’eau

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Soudain, j’ai entendu la voix de l’eau

En 2012, dans un reportage de Télé­rama sur les écrivains japonais face à l’après-Fukushima, Hiromi Kawakami annonçait sans détour : « Je pense que l’humanité va bientôt disparaître. C’est difficile de trouver les mots pour dire la certitude que nous courons à notre perte. Pourtant, un an après la cata­strophe, je suis fascinée par l’aspect foudroyant du désir de vivre. Je trouve extra­ordinaire que, même si notre sens de la mort s’est brusquement intensifié, notre attachement à la vie soit plus fort que tout. On veut vivre, on veut rire. Ce mystère sera au coeur de mes prochains livres. » Voilà donc un livre post-tsunami, doté d’un titre magnifique qui résume bien l’oeuvre de Hiromi Kawakami, romancière amphibie captant les ondes mouvantes ancrées au plus profond des êtres. Bien trop délicate pour concocter une intrigue directement liée au 11 mars 2011, elle a imaginé une histoire de deuil et d’inceste qui court, sautille, trépigne, dérive entre les jours, les mois, les années, de 1945 à 2013 et vice versa.

Hiromi Kawakami n’aime rien tant que les personnages qui se laissent guider par leurs pensées et leurs souvenirs, qui sautent du coq à l’âne, de la nostalgie à la soif de vivre, du futur au passé. Double d’elle-même, insaisissable et tenace, son héroïne Miyako revient habiter dans la maison de son enfance, en compagnie de son frère Ryô. Tous deux sont célibataires et portent sur leur dos une carapace épaissie par les épreuves : la mort de leur mère, leur bâtardise cachée, leur traumatisme de l’attentat au gaz de sarin dans le ­métro de Tokyo. Tout n’a toujours été que non-dit et ambiguïté dans leur existence, et le roman se laisse porter par la beauté de l’équivoque, source d’apaisement et d’éternité.

A coups de phrases solaires et changeantes, Hiromi Kawakami restitue l’étrangeté d’une vie hors norme, succession d’éclats éblouissants et de désintégrations soudaines. Chez elle, le temps est propice à l’assouplissement et à l’abandon, et finit par laisser une place à l’amour. Un mot que ses héros ne parviennent pas à employer, mais qu’ils apprivoisent, mus par cette force imprévisible que peuvent donner les tragédies. — Marine Landrot

 

Suisei, traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, éd. Philippe Picquier, 214 p., 18,50 €.

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