Roma-Roman

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Roma-Roman

S’il avait osé, il aurait appelé son roman Genardière/Roma, pour cligner de l’oeil encore plus fort en direction de Fellini. Mais Philippe de La Genardière a l’ego trop morcelé, la vanité trop vaporeuse, pour se permettre une surexposition aussi directe. Percuter n’est pas son style, il préfère ondoyer, tournoyer, sous-mariner. C’est même tout le charme de cet ancien pensionnaire de la villa Médicis, qui se laisse aujourd’hui submerger par ses souvenirs romains, des années et des années plus tard, quand le brouillard du temps a jeté son voile sur la réalité, quand l’amertume a rendu les êtres à la fois lucides et irraisonnés. Hommage à une certaine tendance du cinéma italien (Fellini, Antonioni) et français (Resnais, Godard), son livre raconte les retrouvailles à Rome, vingt ans après le tournage, de l’équipe du film Ciné/Roman, dans la chaleur de l’été 2010. Trois personnages volettent à travers la lumière orangée, comme des papillons de nuit à bout de souffle. La ville antique, qui décharge une électricité aussi roborative qu’émolliente, accueille les pensées labyrinthiques des hommes, marchant sur les traces les uns des autres avec la même angoisse de disparaître. Ariane, ancienne actrice devenue psychanalyste, quadragénaire qui pense enfin « en avoir terminé avec l’injonction de beauté » et revisite son passé de séductrice poursuivie par le complexe d’imposture. Adrien, cinéaste vieillissant et alcoolique conscient de n’avoir jamais été Orson Welles. Et Jim, scé­nariste attelé à l’écriture d’un roman plein de ces « illuminations qui vous portent parfois et vous tiennent la main, mais qui le lendemain, à la relecture, se délitent inexorablement ».

Chacun a droit à deux chapitres, pour donner son point de vue sur cette réunion d’anciens combattants du septième art. La femme a la plus belle qualité d’expression, elle avance avec une fragilité majestueuse dans le présent atemporel, telle Delphine Seyrig, dont elle n’a jamais réussi à imiter la démar­che aérienne de L’Année dernière à Marienbad, les bras en arrière et les jambes picorant le gravier. Mais elle a indéniablement réussi à s’approprier le timbre de voix « seyriguien », cette façon de respirer à contretemps, dans des phrases longues et envoûtantes comme le chant d’une sirène. Son refrain reste le plus mélodieux, le plus obsessionnel aussi, chargé du regret que l’être humain ne roule finalement que très peu de pensées dans sa vie. Au sac de son ressassement répond le ressac de son refoulement, et l’écriture de Philippe de La Genardière, tout en nonchalance hypnotique, donne à cette marée cérébrale une grande force de consolation.

A côté de cette créature mythique, consciente d’incarner toutes les fem­mes à la fois, de Greta Garbo à Brigitte Bardot, en passant par les inconnues déprimées qui défilent dans son cabinet, les hommes du livre font pâle figure. Plus prosaïque, plus lâche dans tous les sens du terme, leur langue ne parvient pas à exprimer leurs émotions. Ce décalage donne un relief accidenté à ce roman sur l’incommunicabilité entre les sexes. Mais Philippe de La Genardière partage, avec les cinéastes qui hantent son livre, une grande idée de la sensualité. Un rêve de fusion rassemble les trois personnages du livre, en proie au désir le plus fou, en mal de compassion universelle. Une main qui en serre une autre devient « le foyer de l’univers, comme si elle avait porté toutes les énergies, toutes les vibrations de l’humanité ». Le roman est dédié à Alain Resnais. Comme lui, Philippe de La Genardière lie étroitement l’espace physique et l’espace temporel, et signe une oeuvre aussi polyphonique que métaphysique sur la peur de l’oubli et le refus de vieillir.

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