Retour à Peyton Place

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Retour à Peyton Place

Ils ne sont pas si nombreux, les romans populaires dont la première phrase est devenue une sorte de devise inscrite dans la mémoire collective de plusieurs générations. Nous avons Sagan et le mélancolique commencement de Bonjour tristesse (« Sur ce sentiment inconnu, dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse »). Outre-Manche, on pense aux prémices songeuses de Rebecca, de Daphné Du Maurier (« La nuit dernière, j'ai rêvé que je retournais à Manderley »). Aux Etats-Unis, il n'est peut-être de comparable phénomène que la métaphore qui ouvre Peyton Place, le vénéneux mélo de Grace Metalious (1924-1964) : « L'été indien est semblable à une femme mûre, animée de passions ardentes. Mais c'est une femme volage, qui va, vient à sa guise, si bien qu'on ne sait jamais si elle s'apprête à surgir, ni combien de temps elle restera. » Paru en 1956, accueilli par les haut-le-cœur unanimes de la critique, révulsée par l'inconvenance revendiquée de ce tableau de mœurs de l'Amérique provinciale, Peyton Place rencontra un succès public immense — soixante mille exemplaires vendus au cours des dix premiers jours de présence dans les librairies américaines, plus de dix millions à ce jour. Un engouement bientôt relayé par un long métrage (1957), puis un second tome (Retour à Peyton Place, 1959), enfin par un feuilleton télévisé en quelque cinq cents épisodes (1964-1969).

Le miroir sans tain du désordre derrière une normalité de façade

La narration de Peyton Place suit les destins croisés de trois personnages féminins : les adolescentes Allison McKenzie et Selena Cross, et Constance, la mère d'Allison. Autour d'elles, ce décor de la petite ville de province repliée sur elle-même comme en huis clos, devenu depuis un leitmotiv de l'imaginaire populaire américain. Porté par une écriture d'une âpre efficacité, le réalisme de l'intrigue, qui convoque les thèmes de l'adultère, de l'inceste, de la ségrégation sociale…, eut pour effet de tout ensemble captiver et heurter l'opinion. Le triomphe de Peyton Place n'a pourtant pas qu'un parfum de scandale. Le roman eut aussi un ­effet émancipateur : « Dans les années 1950, je vivais dans le Middle West, et je peux vous dire que c'était mortel. Elvis Presley et Peyton Place, voilà les deux seules choses qui vous faisaient espérer que ça bougeait quelque part dans le vaste monde », a raconté Emily Toth, dans une biographie (non traduite en français) de Grace Metalious.

Projection romanesque de Gilmanton, la ville du New Hampshire où vivait Metalious, la bourgade de Peyton Place est devenue, sous sa plume, le miroir sans tain de la société américaine de son temps. Une communauté au sein de laquelle, derrière la normalité de façade, les relations humaines obéissent à des rapports de force, de domination, et dont les victimes sont les femmes, les enfants, les classes sociales défavorisées. « En réinterprétant les thèmes de l'inceste, de la femme battue et de la pauvreté pour en faire les indices d'un échec non seulement individuel, mais aussi social, Grace Metalious n'a pas écrit un "torchon" mais un brûlot sur les relations entre les sexes et les privilèges de classe », écrit l'universitaire Ardis Cameron, dans l'éclairante postface qu'elle donne au roman, soulignant le caractère délibérément subversif du geste de l'écrivaine. Laquelle, dans Retour à Peyton Place — qu'elle rédigea sur l'insistance de son éditeur —, s'inspira de sa récente expérience pour prêter à Allison McKenzie un destin d'auteur à succès. Un sort amer, semble soupirer Grace Metalious, dans les pages de ce roman à ­l'atmosphère très noire, ironique et dépressive. Son destin à elle allait prendre fin cinq ans plus tard : alcoolique, comme asphyxiée par son succès, elle mourut à 39 ans.

 

 

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