Grigori Iefimovitch Novykh dit Raspoutine, le madré moujik au regard hypnotique, né (sans doute…) en 1869 et assassiné en 1916, promena bien sa silhouette inquiétante de la Sibérie à Saint-Pétersbourg, dans les salons et l’entourage de la famille du tsar. Mais il fut surtout une « fiction », un « mythe » dont l’historien Alexandre Sumpf détricote les fils avec un évident bonheur de chercheur. Que n’a-t-on dit de ce démon hirsute, comploteur à l’influence néfaste, devin et débauché ! Cible privilégiée des articles à scandale d’avant-guerre en Russie, le roitelet thaumaturge supposément investi de redoutables ou bénéfiques pouvoirs — symbole du « cynisme et [de] la débauche de la coterie tsariste » selon Lénine, « un rustre, un primitif d’une ignorance crasse » selon l’ambassadeur français de l’époque —, fut une star à sa manière. C’est d’ailleurs moins le personnage que le phénomène qui intéresse Alexandre Sumpf. Revue et embellie à la sauce antisoviétique, mâtinée d’érotisme dans quelques romans des années 1920, la silhouette de « Ra Ra Rasputin », chantée par le groupe Boney M, fut aussi endossée par les acteurs Harry Baur et Gérard Depardieu, s’insinuant même à l’occasion dans les planches d’Hugo Pratt… — Gilles Heuré
Ed. Perrin, 380 p., 23 €.
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