Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse

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Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse

Dans toute carrière d’intellectuel qui se respecte, un défi se présente un jour, et s’apparente à de la haute voltige : l’analyse à chaud de l’actualité. Surtout si l’intellectuel est français. Et si l’actu est tragique. C’est ce numéro de trapèzes audacieux, mais risqué, qu’a tenté l’anthropologue et historien Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage, Qui est Charlie ? Las, le voltigeur a chu. Car les trapèzes n’étaient pas synchrones.

Celui sur lequel Todd se balance, depuis des années, avec une belle agilité d’ailleurs, est connu : c’est l’analyse en profondeur des systèmes familiaux en France et à l’étranger. Dans les régions ayant adopté une structure inégalitaire entre les membres d’une même famille — avec droit d’aînesse, par exemple —, on adhère généralement aux idées politiques justifiant l’inégalité sociale et économique dans la société : bref, on vote plutôt à droite. Au contraire, les régions à système familial égalitaire votent plutôt à gauche. Surtout, ces systèmes continuent de faire sentir leurs effets souterrains, même si le monde change en surface. Venons-en au second trapèze, qu’a tenté d’attraper notre chercheur : l’analyse du temps immédiat, et plus particulièrement des manifestations du 11 janvier qui ont suivi les assassinats de Charlie et de l’Hyperkasher de Vincennes. En examinant les cartes (et leurs dessous pas très chics), Todd a eu la « révélation » que pouvaient être superposées l’analyse des villes où l’on a manifesté, et celle du « catholicisme zombie » — des régions longtemps catholiques, plus très pratiquantes, mais ayant conservé, de façon inconsciente, la « mémoire » de leur adhésion passée à un ordre inégalitaire et hiérarchique.

Ne restait plus qu’à sauter d’un trapèze à l’autre, non sans avoir effectué un délicat saut périlleux : qui étaient ces quatre millions de Charlie, demande l’anthropologue ? Des hommes et femmes des classes moyennes, âgés et « cathos zombies » (des « MAZ »). Les classes populaires et les banlieues, elles, ne se sont pas déplacées. Mais ces MAZ ne sont pas descendus dans la rue pour partager leur émotion, pour défendre en bloc, face au chantage terroriste, le droit de s’exprimer sur les religions jusque dans la caricature, ou pour toute autre raison. Les marcheurs ne savaient pas pourquoi ils battaient le pavé. Ces couillons… Mais Todd sait : ils s’attaquaient en meute à une minorité largement stigmatisée en France, « les musulmans » ; ils se rassuraient en petits bourgeois inquiets sur l’affaiblissement de leur position ; et ils serraient les rangs face au vide métaphysique laissé par un catholicisme défunt.

On aura beau tourner et retourner ce livre, saluer certaines audaces, méditer quelques sentences, le problème de Qui est Charlie ? est que son intuition fondamentale ne tient pas. Corrélation (des cartes) n’est pas raison. La voltige est manquée. Tant va l’intellectuel à l’actu que parfois, il se « crashe ». — Olivier Pascal-Moussellard

 

Ed. du Seuil, 252 p., 18 €.

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