Quatuor

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Quatuor

Comment fait-elle ? On ne peut s’empêcher, en refermant Quatuor, de se poser la question. Comment la Néerlandaise Anna Enquist parvient-elle à lier abstraction et réalisme ? A dire la peur de vieillir seul et la joie apaisante de se réunir pour jouer de la musique ? A croiser les monologues de personnages enfermés dans leur détresse puis égratigner un monde bruyant qui n’a rien de civilisé ? Son nouveau livre est un chef-d’oeuvre et il est loin d’être le premier. Cette romancière-pianiste-psychothérapeute construit depuis vingt ans une oeuvre exigeante mais parfaitement accessible, d’une grande beauté formelle et d’une profondeur infinie.

Dans une grande ville, Amsterdam sans doute, et dans un avenir proche, les membres du quatuor se présentent chacun leur tour. Jochem, l’alto, est luthier. Réparer des instruments « malades » l’aide à rester debout. Il est marié à Caroline, violoncelle, médecin généraliste débordée, qui s’accroche à son travail pour éviter de penser à leurs deux fils morts dans un accident d’autocar. Hugo, premier violon, est directeur d’un centre culturel, sur le point d’être licencié par une mairie qui lui parle rentabilité. Enfin, Heleen, deuxième violon, est infirmière et anime un atelier d’écriture en prison. Lié à ce quatuor, il faut ajouter Reinier. Il fut un violoncelliste virtuose, mais avec l’âge tout est devenu douleurs et angoisse. Hier, il traversait la ville au pas de course, l’instrument sur le dos. Aujourd’hui, il ne ressent que « fureur, impuissance, chagrin » devant ce corps qui ne répond plus. Or, désormais, les vieux sont placés de force dans des centres de soins, des mouroirs qui coûtent moins cher. Autour de ces cinq personnages, tout est dissonance. Mais, lorsqu’ils s’enferment pour jouer Bach ou Mozart ensemble, chacun se libère d’un fardeau en plongeant dans une quiétude rassurante. Anna Enquist nous fait entendre le murmure de leurs âmes en suggérant qu’ils sont déjà hors jeu. Et si le dernier chapitre éclate comme un polar avec violence et prise d’otages, l’essentiel est ailleurs. Pas dans une idée de morale, plutôt dans un sentiment de mélancolie où s’insinue la rage à l’égard d’une société superficielle qui privilégie l’apparence, le clinquant et l’immédiateté. — Christine Ferniot

 

Traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif, éd. Actes Sud, 304 p. , 21,90 €.

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