Pukhtu

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Pukhtu

La guerre à ras d’homme, dans l’incendie des sensations. La peur, la souffrance, l’horreur. L’excitation de la chasse et des armes aussi. Le vacarme, les cris, les odeurs. Le lecteur est embarqué, rudement, dès le prologue, flux de conscience stroboscopique d’une jeune Norvégienne prise dans l’attentat suicide de l’hôtel Serena, à Kaboul, en 2008. Hachure des phrases, fragments d’images en plans serrés, brutalement remplacés par le verbe clinique de la séquence suivante, ouvrant sur un cargo en escale à Jebel Ali, principal port du golfe Persique. Sept cents pages au souffle singulier, accélérations, respirations, ruptures de rythmes et de tons, jargon militaire, argot, codes des services secrets, toujours en tension même quand la poésie surgit d’un paysage ou de la confusion des sentiments des protagonistes. La réussite de ce livre hors du commun est d’abord littéraire. Mais l’auteur impressionne aussi par son am­bition : poursuivre le propos d’un précédent roman, Citoyens clandestins, qui mettait en scène, à Paris, autour de septembre 2001, la guerre entre les services de renseignement et un réseau d’islamistes radicaux, reprendre quelques personnages et les plonger, quelques années plus tard, dans le bourbier afghan. Pukhtu, titre qui évoque la notion d’honneur chez les Pachtounes, se situe en 2008, année charnière de l’élection de Barack Obama, principalement à la frontière entre l’Afghanistan et les zones tribales du Pakistan. Polyphonique, ubiquitaire, méticuleusement précis, fébrilement documenté, attaché aux détails — topographie, armes, acronymes militaires —, le roman court d’un lieu à l’autre, dans une impressionnante tentative d’épuisement du réel. Enjeux militaires, religieux, géopolitiques, juteuse privatisation de la guerre, omniprésence du trafic de drogue, il tend, avec succès, à tout embrasser. En réussissant l’exploit de ne jamais sacrifier la complexité de ses personnages — un journaliste, une poignée de mercenaires, un chef de clan pachtoune en particulier. Le texte se termine brutalement, sur le discours d’Obama, le 11 septembre 2008. La suite est prévue pour le printemps prochain. On l’attend comme la nouvelle saison d’une série d’exception. — Michel Abescat

 

Ed. Gallimard, coll. Série noire, 688 p., 21 €.

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