Prendre les loups pour des chiens

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Prendre les loups pour des chiens

Hervé Le Corre n’est jamais aussi bon que dans les intervalles, les instants suspendus, quand le roman reprend son souffle, quand les silences, soudain, font exploser les tensions, quand le temps se dilate pour laisser le passé envahir le présent. Hervé Le Corre est un écrivain du regard et du temps qui passe, observateur aigu autant que pudique et réservé. Roman de l’enfermement, son nouveau livre met en scène un jeune homme à sa sortie de prison, aussitôt pris au piège d’un univers étouffant et clos. Le paysage d’abord, une forêt dans le sud de la Gironde, zone périphérique et déshéritée, hérissée de pins aux aiguilles effilées, lacérée de routes rectilignes qui se croisent au carré. « Nul horizon, toujours empêché par ces innombrables barreaux surgis du sol maigre », écrit l’auteur, qui prend le temps d’en suggérer la sombre monotonie, la barrière inquiétante qu’elle forme autour de la maison isolée où Franck va se trouver coincé. La maison appartient aux parents de Jessica, la copine de son frère, en voyage en Espagne. Dans l’attente du retour de celui-ci, Jessica est venue le chercher, mais le frère tarde à rentrer et Franck prend peu à peu la mesure de cette famille toxique, de ses fréquentations délétères, de ses trafics et de ses dérèglements. De sa précarité aussi, de la violence qu’elle subit et charrie de génération en génération. Hervé Le Corre dit la chaleur implacable de cet été meurtrier, l’exacerbation des désirs et de la brutalité, l’atmosphère moite et malsaine de ce huis clos où macèrent espoirs cabossés, tentatives de survie, rancoeurs acides et haines recuites, où la folie n’est jamais loin. Vite conscient de la mécanique tragique dans laquelle il est entraîné, Franck traverse les événements comme si l’histoire n’était pas la sienne, moitié acteur, moitié spectateur. Il se laisse couler, poursuivi par ses souvenirs d’enfance, éternel gamin maltraité, dépossédé de sa vie. Hervé Le Corre l’accompagne, le mot juste, la phrase bouleversante de simplicité, lourde d’émotions, qui rappelle un de ses meilleurs romans, Les Coeurs déchiquetés. On pense également à certains auteurs américains, peintres des terres oubliées, des paumés et des vaincus, à leurs histoires sauvages, à leur poésie sèche, Larry Brown par exemple. Et ce n’est pas un mince compliment ! — Michel Abescat

 

Ed. Rivages, 320 p., 19,90 €.

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