Premiers écrits chrétiens

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Premiers écrits chrétiens

Redoutant de ne pouvoir aller au martyre parce qu’enceinte, l’esclave Félicité supplie Dieu d’accoucher au plus vite. Ce qu’il lui accorde. Dans la souffrance. Mais au garde de prison qui suggère qu’exposée aux bêtes — léopards, lions, ours, sangliers ou vaches — elle souffrira davantage, Félicité a ces mots : « Maintenant c’est moi qui souffre ce que je souffre ; mais là-bas, il y aura quelqu’un d’autre en moi qui souffrira pour moi, parce que moi aussi je vais souffrir pour lui. » C’était en 203. A Carthage. Une des premières et plus belles, et plus simples formulations de la communion aux souffrances du Christ. Qui influencera des générations de mystiques… Une des premières voix de femmes, aussi, dont on ait perçu l’écho dans des textes anciens. Avec celle de Perpétue, de noble naissance, elle, et martyrisée avec Félicité, alors qu’elle venait d’allaiter son enfant et se présenta aux spectateurs de son supplice les seins inondés de lait.

Ces premières chrétiennes furent de fortes femmes. Sur le chemin du supplice, celle qui a osé refuser à son père de renoncer à sa religion, la noble Perpétue, n’accepte pas, une fois de plus, de revêtir le costume des jeux du cirque. On dit que les chrétiens d’alors s’habillaient ostensiblement différemment de leurs congénères. Comme d’autres pratiquants d’aujourd’hui… On trouvera bien des éclairages imprévus et lumineux sur certains débats de notre monde contemporain dans ces passionnants Premiers Ecrits chrétiens savamment rassemblés par Bernard Pouderon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini ; et datés des années 90 à 200 après Jésus-Christ. Quand se constitue le christianisme autour du bassin européen : du Proche-Orient à Rome, de la Turquie à Lyon, de la Libye à Carthage. Frémit ainsi de page en page une religion en devenir, follement « révolutionnaire ». Dans son affirmation de la liberté individuelle — s’ils respectent le pouvoir en place et se soumettent aux lois, les premiers chrétiens revendiquent d’emblée des convictions choisies et non héritées de la tradition. Dans son désir d’égalité, aussi : vivant toujours en communautés (pas toujours unies ni accordées), ces chrétiens-là y pratiquent l’entraide et la solidarité. Et le débat théologique. Inscrit dans les gènes mêmes de la religion naissante, et souvent concentré autour de la personne du Christ : est-il prophète ou fils de Dieu fait homme ? Le christianisme ne cessera plus de se réfléchir, de se contester…

Certains des plus anciens Pères de l’Eglise — on appelle ainsi les auteurs dont les textes, les actes et l’exemple moral ont forgé la doctrine — ont parfois connu les apôtres mêmes du Christ, ou leurs premiers disciples. Ils construisent mot à mot les dogmes, les usages liturgiques et les règles sacramentelles d’un message christique jusqu’alors essentiellement oral, et encore très nourri de judaïsme ; et de visions, de rêves et de songes tout imprégnés de culture païenne ; qu’on en juge par le troublant Pasteur d’Hermas. Même le mot « christianisme » n’apparaît qu’au début du IIe siècle, sous la plume d’Ignace d’Antioche (v. 35-117). Avant, on le considérait simplement comme une « hérésie juive ». De Clément de Rome à Irénée de Lyon, de Justin de Naplouse à Tertullien, la langue est encore râpeuse, maladroite. Elle se cherche. C’est qu’il lui faut fonder un corpus, un credo, un monde de foi. Pour les siècles des siècles. Et une poésie, un imaginaire. Fou et transcendant, qui n’en finira pas de hanter artistes et écrivains. Ça commence tout juste. Moisson, le mystérieux poème qui clôt le superbe recueil, en est l’étrange prémisse : Je vois tout suspendu par l’Esprit,/Je perçois tout véhiculé par l’Esprit :/La chair suspendue à l’âme,/L’âme se rattachant à l’air,/L’air suspendu à l’éther,/Les fruits portés hors de l’abîme,/Le nourrisson porté hors de la matrice. — Fabienne Pascaud

 

Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1 648 p., 58 €.

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