Pourquoi je ne suis pas mon cerveau

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Pourquoi je ne suis pas mon cerveau

Lire dans le cerveau, jusqu’à lire le cerveau lui-même, un cerveau devenu pur cristal. Voir le cerveau penser, en som­me. La montée en puissance des neuro­sciences et le développement de la neuro-imagerie sont en train de mettre ce fantasme à la portée des hommes. La compréhension de nos émotions, de nos désirs, de nos coups de foudre, de nos idées, de notre attrait pour le beau, transite désormais par les contours objectifs d’une série d’IRM. La révolution neuroscientifique se décline dans tous les domaines, qu’ils soient affectif, sexuel ou esthétique. Un rêve devenu cauchemar pour certains ! « Le moi n’est pas le cerveau ! se rebelle ainsi Markus Gabriel. On peut effectivement rendre ­visibles des processus cérébraux, mais pas l’acte de penser lui-même », synthétise-t-il. Assurément, le cri vient du coeur… Il donne son titre, programmatique et fermement troussé, au nouvel essai du philosophe allemand.

Né en 1980, dix ans avant que George H.W. Bush proclame ouverte la « décennie du cerveau », Markus Gabriel, le plus jeune titulaire d’une chaire de philosophie en Allemagne, à l’Université de Bonn, critique le « neurocentrisme » : cette croyance dominante selon laquelle la connaissance du cerveau recouvrirait et épuiserait la connaissance de l’humain. Contre cette idéologie jugée normative — l’une des pièces maîtresses de nos sociétés de contrôle et de surveillance (de l’observation du cerveau à celle du citoyen, il n’y a pour l’auteur qu’un pas…) —, il oppose de façon assez classique une nouvelle philosophie de l’esprit « antinaturaliste », qui considère que « tout ce qui existe ne relève pas des sciences de la nature, ou plutôt n’est pas physique, matériel ». Non, nous ne nous réduisons pas à « ce ­machin qui siège dans notre boîte ­crânienne », à cet « orage de neurones sous notre scalp », ni ne sommes ces « biomachines aiguillonnées par la seule soif de vivre avec pour seule envie de transmettre leurs gènes » !

La vieille querelle du matérialisme et de l’idéalisme serait-elle ici rejouée ? Pas vraiment, dans la mesure où Mar­kus Gabriel, chef de file d’un courant philosophique international, le « nouveau réalisme », est aussi un fervent critique de l’idéalisme. C’est plutôt une défense des sciences humaines contre les sciences dures qui se déploie ici. Et une remise au premier plan de la liberté et du libre arbitre. On peut regretter, au fil de la démonstration, qui mêle avec humour et délice références philosophiques et séries télévisuelles, que ­Markus Gabriel sépare et oppose ces savoirs sans vraiment les confronter. Ce à quoi s’emploie par exemple de façon fructueuse la philosophe Catherine Malabou, autour de la notion de « plasticité » cérébrale ; ou comme ont pu le faire en leur temps Paul Ricoeur et Jean-Pierre ­Changeux dans La Nature et la Règle. Ce qui nous fait penser (1998). A bas le moi clé USB ! — Juliette Cerf

 

Ich ist nicht gehirn, traduit de l’allemand par Georges Sturm, éd. JC Lattès, 384 p., 20,90 €.

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