Otto, l’homme réécrit

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Otto, l’homme réécrit

« Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont connaissance de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés. » Empruntée à Spinoza, l’exergue du nouvel album de Marc-Antoine Mathieu donne le ton. Otto, l’homme réécrit s’articule en effet sur la pensée du philosophe selon ­laquelle le libre arbitre n’existe pas. ­Artiste contemporain célèbre pour ses performances et son obsession du double et des reflets, Otto traverse une mauvaise passe. Foudroyé par l’inanité de son oeuvre alors que tout le monde crie au génie, le plasticien apprend la mort de ses parents dans un accident de voiture. Leur legs : une malle pleine de cahiers et d’enregistrements qui relatent dans le moindre détail les sept premières années de sa vie. Une expérience scientifique menée à son insu et dans le plus grand secret. En s’immergeant dans cette mémoire oubliée, Otto démêle avec fascination l’écheveau de sa personnalité et comprend peu à peu que ses goûts, ses choix, ses pulsions, tout ce qu’il a de plus intime, résultent en fait d’une longue chaîne d’événements.

Cet album a la beauté glacée d’une démonstration mathématique. Tout y est pensé, bien en place et brillant dans la formulation. Jusque dans sa conclusion métaphysique. Là où le Proust de La Recherche… se laissait gagner par l’ivresse du souvenir et des émotions exhumées, Mathieu proscrit l’humain comme une source d’erreur pour ne s’attacher qu’au concept. Si l’on a du mal à souscrire à une hypothèse qui nous réduit à une somme d’équations, l’ouvrage est cependant remarquable, tant dans le récit que dans la compo­sition des images. Aussi discret que son personnage, qu’il ne nous montre que de dos, Mathieu, en parfait janséniste, nous ferait presque oublier tout son talent. — Stéphane Jarno

 

Ed. Delcourt, 80 p., 19,50 €.

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