Ormuz

Ajouter un commentaire

Ormuz

On ne sait jamais très bien, ouvrant un livre de Jean Rolin, où il va vous emmener. D’un point de vue strictement géographique, certes, les choses sont en général clairement posées, et c’est peu de dire que le décor est minutieusement décrit — en l’occurrence, pour le présent opus, il s’agit du détroit d’Ormuz, l’Iran sur une rive, les Emirats arabes unis et le sultanat d’Oman sur l’autre, une sorte de poste-frontière, donc, entre monde arabe et monde persan, un lieu hautement stratégique, est-il utile de le souligner, par où transite en outre « 30 % de la production mondiale d’hydrocarbures, ou plus précisément de la part de celle-ci qui est acheminée par voie maritime ». Ormuz, d’accord, mais pourquoi là ? Et pour y faire quoi ? Eh bien, pour y assister à la tentative — pour mieux dire, à l’échec de la tentative, plus ou moins annoncé dès la première ligne… — de traversée à la nage dudit détroit par un dénommé Wax. Lequel a chargé le narrateur d’Ormuz de faire le récit de sa prouesse. Ajoutant, à sa demande, un codicille : « Répertorier […] toutes les créatures et tous les objets, depuis les plus vastes, telles des installations portuaires ou une ligne de métro, jusqu’aux plus restreints, tels une cabine téléphonique ou ce crocodile australien, susceptibles d’être décrits, chacun dans sa catégorie, comme « le plus proche du détroit d’Ormuz ». »

Voilà, Ormuz, c’est à peu près cela. Un geste hautement littéraire, tout ­ensemble fantasque et minutieux, concerté et déraisonnable, cocasse et mélancolique, que seul Jean Rolin était susceptible d’entreprendre et de mener à bien. Paysagiste tout sauf impressionniste, adepte au contraire d’un hyperréalisme maniaque, rigoureux jusqu’à l’ascèse, Rolin fait du décor passablement disgracié qui s’offre ici à lui — zones portuaires, hôtels miteux, plages jonchées de bouteilles en plastique ramenées sur le sable par la marée haute…, le tout accablé de chaleur et d’aveuglante lumière — l’écrin de quelques-unes de ses obsessions majeures : la mer, le commerce maritime, l’Histoire, la géopolitique en général, la guerre asymétrique en particulier (et peu importe que vous ignoriez ce dont il s’agit…), l’ornithologie et les animaux en tous genres (il est question, entre autres, de léopards des neiges, d’un crocodile empaillé, de crabes dits violonistes…). Tout cela exposé, juxtaposé, développé, articulé, organisé par le phrasé stupéfiant de l’écrivain, ici plus singulier, plus souverain que jamais. — Nathalie Crom

 

Ed. P.O.L 218 p., 16 €.

Commandez le livre Ormuz

Laisser une réponse