Numéro 11. Quelques contes sur la folie des temps

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Numéro 11. Quelques contes sur la folie des temps

Entre mélancolie et colère, son coeur et ses romans balancent, depuis longtemps, depuis toujours sans doute. Du second trait de caractère, la pente ombrageuse, la froide exaspération, on s’est rendu compte en France il y a vingt ans, en faisant la connaissance de Jonathan Coe par l’entremise d’un roman hautement corrosif, Testament à l’anglaise — une satire de l’Angleterre des années Thatcher époustouflante de sagacité et d’humour noir, portée par les tribulations de la détestable et cupide famille Winshaw, incarnation d’un establishment arrogant et corrompu. Réfléchissant à son travail, à son parcours d’écrivain (1) , Coe affilie volontiers ce livre à un genre romanesque répertorié dans le monde anglo-saxon, « les romans qui font l’état des lieux », dont la vocation est de brosser périodiquement le tableau de la situation politique, sociale et morale d’une nation. S’il serait abusif de présenter Numéro 11 comme une pure suite de Testament à l’anglaise (bien qu’on y retrouve la famille Winshaw, du moins ce qu’il en reste…), nul doute en revanche que l’écrivain britannique entreprend d’y recommencer, deux décennies plus tard — et en proie à une colère que les ans n’ont pas émoussée —, un portrait d’époque prenant en compte les derniers développements de l’histoire immédiate de son pays : l’ère Tony Blair et ses lendemains, ses reliquats désenchantés (le soutien britannique à l’intervention américaine en Irak, la crise financière de 2008, la déréalisation du monde…).

La beauté du geste de Jonathan Coe — et le témoignage de son impressionnante maîtrise formelle — réside dans la forme tout sauf conventionnelle qu’il donne à sa radioscopie romanesque de l’Angleterre contemporaine. Sous-titré Quelques contes sur la folie des temps, Numéro 11 s’offre effectivement à lire non comme une chronique, mais comme une floraison d’intrigues, de motifs et de personnages, un roman formidablement rocambolesque et kaléidoscopique où l’on croit à chaque chapitre lâcher le fil narratif qu’on tenait précédemment pour s’en emparer d’un nouveau — mais où finalement tout se tient, tout s’accorde, tout résonne, tout s’éclaire. Non pas parallèle à la satire, mais à elle entrelacée, une méditation sur l’enfance, le temps et l’innocence perdus, la lassitude et le désarroi de l’homme du xxie siècle, irrigue le roman, le drape d’une poignante gravité. — Nathalie Crom

 

(1) Lire le recueil de textes critiques Notes marginales et bénéfice du doute, de Jonathan Coe, éd. Gallimard (2015).

 

Number 11 : or tales that witness madness, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, éd. Gallimard, 448 p., 23 €.

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