Molécules

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Molécules

A quoi pense un photographe judiciaire sur une scène de crime, quand il shoote le visage lacéré d’une femme retrouvée morte sur son palier ? ­François Bégaudeau s’arrête sur lui, sonde les pensées intimes de cet homme qui pourtant ne fera que passer dans le roman. Il l’écoute, comme il est attentif à toutes les figures qui traversent son récit, les principales — la victime, son mari, sa fille, son meurtrier — comme les plus secondaires (apparemment), la concierge de l’immeuble, par exemple. Aucun personnage n’est insignifiant, aucun non plus n’a le statut de « héros », tous sont pris dans leur banalité, leurs préoccupations quotidiennes, leur complexité d’êtres humains confrontés à une affaire qui les submerge. Un fait divers ordinaire — le meurtre d’une femme par un homme qui n’a jamais digéré d’avoir été éconduit — devient ainsi source d’interrogations fondamentales et portrait subtil d’une époque et de ses signes, celle des années 1990. Qui est normal et qui ne l’est pas ? Où commence la folie ? François ­Bégaudeau bouscule les codes du roman policier, traque les clichés et s’en amuse, joue avec le verbe des uns et des autres, celui des flics et des chroniqueurs judiciaires, celui des juges et des experts psychiatres. Il les donne à voir et à entendre, explore leurs carcans, tord les phrases et la syntaxe. La langue de son roman est feu d’artifice, une sorte de fête du discours indirect libre. Le lecteur, dont la vigilance est sans cesse convoquée, se régale, car l’auteur a l’humour tranchant, un sens aigu du burlesque, et passe sans crier gare de la tragédie à la farce. Les scènes entre les deux flics chargés de l’enquête, qui poussent la logique jusqu’à l’absurde, sont désopilantes. François Bégaudeau n’a pas écrit un polar. Il n’empêche qu’on tourne vivement les pages. — Michel Abescat

 

Ed. Verticales, 250 p., 19,50 €.

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