Mets le feu et tire-toi

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Mets le feu et tire-toi

« Mets-le feu et tire-toi ! » professait James Brown. Il avait le sens de la formule, et celle-ci en disait long. Elle expliquait ses disparitions après le tumulte des concerts, les loges fermées à double tour dont il s’échappait pour rejoindre, en pleine nuit, une autre ville de l’Amérique parcourue pied au plancher. « Mister Dynamite » frappait comme la foudre et laissait derrière lui un écran de fumée. Au révérend Al Sharpton, activiste black qui fut son plus fervent « disciple », il ajoutait : « Ne les laissez jamais voir que vous transpirez. Arrivez comme quelqu’un d’important. Repartez comme quelqu’un d’important. » James Brown ne voulait pas qu’on l’approche, il ne voulait pas qu’on sache, qu’on l’enferme, qu’on le réduise à sa gloire, son passé, sa folie ou ses peurs. Pour James McBride, qui prend le pari de romancer à nouveau son histoire (il recense une bonne dizaine de livres avant le sien), le roi de la soul, l’icône de l’Amérique noire, était le mystère incarné, « un homme qui échappait à toute tentative de description ».

Pourquoi ? Parce qu’il venait d’un pays secret, un pays où il fallait rester sur ses gardes et savoir se rendre invisible, « un pays de masques », « un pays de dissimulation », le Sud des Etats-Unis, construit par la violence de l’esclavage et de la ségrégation. C’est là, à Barnwell, en Caroline du Sud, que le romancier de L’Oiseau du bon Dieu se lance sur la piste du chanteur et de son « passé tragique », fait de fuites, de meurtres, de misère et d’abandon. James McBride est noir, il le précise d’entrée, il est musicien aussi. Il ne cherche pas la vérité — il n’y croit pas plus qu’un autre — mais il veut en rétablir quelques-unes en retrouvant les proches du chanteur. Son enquête biographique est faite de vignettes d’où émerge le portrait d’un génial égomaniaque, travailleur acharné, truqueur, calculateur, obsédé par la réussite et la performance. Et dévoré par le souci de justice sociale au point de léser sa propre famille pour léguer une grande partie de sa fortune (100 millions de dollars) aux enfants noirs du pauvre Sud. « Monsieur Bobbit, quand je mourrai, ça va être une sacrée pagaille », disait-il à son principal confident. James McBride consacre de belles pages à la musique, à la fusion du jazz et du gospel dans un rythme lubrique. Mais l’argent est le nerf de l’histoire, la folie d’en avoir et de ne pas en avoir, l’ascension et la chute, le lancinant refrain d’une culture noire éternellement pillée par les Blancs. Pour James Mc­Bride, « si vous ne comprenez pas ça, vous ne comprenez pas James Brown ». — Laurent Rigoulet

 

Kill’em and leave, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe, éd. Gallmeister, 336 p., 22,80 €.

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